De l’argent bien placé, de Ghassan Michel Rubeiz

Christian Children's Fund - de l'argent bien placé - Ghassan Michel Rubeiz

L’espoir d’un éveil social et industriel au Moyen-Orient et en Afrique du Nord peut s’annoncer d’une façon imprévue. Ghassan Michel Rubeiz, ancien membre du Groupe consultatif sur le développement de la petite enfance, analyse la façon dont les investissements consacrés à l’éducation peuvent constituer des outils pour éliminer la pauvreté dans le monde arabe.

L’espoir d’un éveil social et industriel au Moyen-Orient et en Afrique du Nord peut s’annoncer d’une façon imprévue. L’indicateur du changement social le plus valable est l’éducation des femmes. Neuf années de scolarité pour chaque femme permettraient d’éliminer un important segment de pauvreté. Cette mesure réduirait aussi considérablement le taux d’abandon scolaire et apporterait un plus incalculable au bien-être de la société. De plus, si chaque petit enfant arabe bénéficiait de deux à quatre ans de préscolarité, le niveau général de réussite scolaire ferait un grand bond.

Est-il permis de rêver?
Les programmes de développement de la petite enfance (DPE), un des secrets les mieux gardés du monde arabe, effectuent lentement mais sûrement leur mission de changement. Le DPE est un programme psychosocial de soins et de stimulation pour les enfants, qui est intégré avec des activités de valorisation des mères dont les jeunes enfants sont inscrits dans le programme.

C’est en Cisjordanie et à Gaza que j’ai appris les vertus magiques du DPE. Là, j’ai appris que des femmes qui étaient naguère timides, surchargées de travail, soumises et ignorantes pouvaient, grâce aux programmes de DPE, apprendre à lire et à écrire, se préparer à l’emploi et affronter fièrement le regard de leurs maris. Autrement dit, elles pouvaient apprendre à devenir des citoyennes actives.

Les programmes de DPE privilégient plus les apprentissages psychologiques et sociaux que la scolarité proprement dite. L’organisme qui gère ces programmes est le plus souvent non pas une école, mais une organisation sociale enracinée dans la communauté et qui travaille avec les familles dans les milieux ruraux ou urbains déshérités.

A quarante-six pour cent, les femmes arabes sont illettrées. La Jordanie a réalisé un taux d’alphabétisation de presque cent pour cent, tandis que le Yémen, le Soudan, l’Irak, Gaza et le Maroc ont le niveau d’analphabétisme féminin le plus élevé. Dans sept pays arabes, plus de vingt pourcent des enfants de moins de cinq ans présentent des signes de rachitisme dus à la malnutrition. Ces chiffres confirment la nécessité de mettre en place d’énergiques programmes visant à autonomiser les femmes arabes et à stimuler le développement de leurs enfants.

Les programmes d’alphabétisation se répandent lentement dans de nombreux pays de la région. Mais, au rythme actuel, il faudra encore 40 années pour vaincre l’analphabétisme. Les programmes de la petite enfance qui incluent les mères avec leurs enfants permettent de redresser les taux d’analphabétisme.

Habituellement, un enfant arabe commence l’école à six ans. Lorsqu’ils naissent dans des familles vivant dans des communautés déshéritées, les jeunes enfants sont affectés par des problèmes de santé de développement qui auront une incidence considérable sur leur avenir. Les retards de croissance et de développement psychologique, physique, social ou intellectuel sont souvent irréversibles lorsqu’ils surviennent dans la petite enfance.

Le Liban, la Jordanie, l’Egypte et les Territoires palestiniens ont une certaine expérience des programmes de DPE. Depuis quelques années, la Jordanie consacre un budget à des activités préscolaires créatrices dans l’ensemble du pays. Les programmes de DPE créatifs impliquent les mères, sont gérés par des enseignantes formées et fonctionnent au niveau des collectivités. Les résultats sont encourageants: ces enseignements précoces améliorent les résultats scolaires ultérieurs, prouvant ainsi qu’en investissant tôt, on économise sur les besoins correctifs ultérieurs.

Le Liban s’enorgueillit du programme préscolaire le plus ancien de la région. Des milliers de dirigeantes arabes diplômées de l’Université libano-américaine depuis des générations ont été lancées dans la carrière par une éducation inspirée du DPE. L’ULA (anciennement Beirut College for Women) a formé des enseignantes de préscolaire pendant des dizaines d’années. Malheureusement, dans le monde arabe dans son ensemble, le niveau d’engagement envers le DPE en tant que programme d’intervention sociale qui privilégie le travail avec les femmes reste insuffisant.

Dans le monde arabe, le DPE n’intervient pas que pour les milieux déshérités. Les programmes de la petite enfance peuvent aussi être utiles dans les pays arabes nantis. Les jeunes enfants des riches pays producteurs de pétrole, qui ne souffrent ni de la faim ni de mauvaise santé, sont cependant en butte à de multiples difficultés: changement social rapide et recours excessif à la main-d’œuvre expatriée pour la prise en charge des enfants. Dans ces pays, les parents sont souvent accaparés par leurs affaires ou les loisirs passifs. Ils ont donc tendance à passer la main à des nounous ou gardiennes étrangères. Les enfants élevés par des immigrées mal payées, peu instruites et souvent dépourvues de protection sociale ont parfois de la peine à se lier à leurs parents naturels, ce qui peut se traduire chez eux par des retards de développement.

Dans plusieurs pays du Golfe, la population d’origine est en minorité démographique, les immigrés constituant la majorité. Dans un contexte démographique aussi particulier le DPE peut être salutaire pour des enfants qui devront faire face à des pressions accrues de changement social dans leur vie adulte.

Ceux qui sont passés par les programmes de la petite enfance ont de meilleurs résultats scolaires et sont plus à l’aise dans la société; ils ont un taux d’emploi supérieur et un taux de détention pénale inférieur au reste de la population. Un rapport de la Banque mondiale sur la Jordanie signale que les programmes de DPE ont apporté une contribution considérable à l’économie nationale. Les faits démontrent que l’argent public dépensé pour les programmes de développement de la petite enfance constitue un placement social avisé. Pour chaque dollar que consacre le gouvernement au développement de la petite enfance, la société reçoit d’énormes dividendes.

Espérons que, dans leurs efforts pour éradiquer la pauvreté et réduire l’instabilité sociale, les responsables arabes du développement social verront dans le DPE un précieux outil de progrès.

* Ghassan Michel Rubeiz a été directeur du Conseil Œcuménique pour le Moyen-Orient, directeur du bureau du Christian Children’s Fund à Washington et membre du Groupe consultatif international sur les soins et le développement de la petite enfance (DPE). CGNews.

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