Egypte: changement d’attitudes vis-à-vis du viol?

Egypte : changement d'attitudes vis-à-vis du viol ?

L’Egypte a été récemment scandalisée par l’histoire d’une fillette de 11 ans qui aurait été violée. Morte de peur, la fillette n’en a parlé à personne jusqu’à son cinquième mois de grossesse. Des cas aussi extrêmes vont peut-être amener les Egyptiens à changer d’attitude vis-à-vis du viol qui, bien qu’illégal, semble est généralement perçu beaucoup plus comme un drame familial que comme un crime.

Selon Lilli Dinesen, directrice du centre de conseil psychologique de Maadi, au Caire, des histoires comme celle de la jeune fillette permettent d’ouvrir le débat sur la problématique du viol: "On peut penser ce qu’on veut du fait que cette histoire a été rendue publique pour que tout le monde sache ce qui s’est passé… Peut-être a-t-on besoin effectivement que ça se sache et que tout le monde soit choqué. Je pense que ce problème a toujours existé, mais qu’il commence à faire l’objet de plus d’attention comme, du reste, le droit des femmes sur leur corps".

"Nous voulons changer les traditions, mais ce n’est pas facile", a affirme de son côté Rania Hamid, responsable du service de conseil familial au Centre d’assistance juridique pour les femmes égyptiennes (CEWLA). "Ces traditions ne datent pas d’il y a 20 ans. Elles sont très anciennes. Il faut les changer progressivement".

L’exemple de la jeune fillette fait partie des 20000 femmes ou filles qui sont violées chaque année, selon le ministère de l’Intérieur égyptien; ce nombre implique qu’il y a en moyenne 55 viols de femmes chaque jour. Cependant, pour échapper au déshonneur social, les victimes rechignent généralement à porter plainte et leur nombre pourrait être plus important, d’après certains experts. "Si les statistiques du ministère de l’Intérieur ne comptabilisent que 20000 victimes, il faut alors multiplier ce nombre par 10", a dit Engy Ghozlan, une activiste de la campagne contre le harcèlement organisée par le Centre égyptien pour la défense des droits de la femme (ECWR).

En réalité, il est difficile de savoir précisément combien de femmes sont violées parce qu’il n’existe pas beaucoup de données statistiques sur le sujet. La plupart des femmes refusent de témoigner et de reconnaître qu’elles ont été victimes de viol, parce que d’un point de vue culturel, ce n’est pas acceptable. De plus, il n’existe aucune définition précise et unanimement acceptée pour le délit de viol. En Egypte, par exemple, le viol conjugal n’est pas illégal.

"La loi interdit le viol non-conjugal et les peines encourues peuvent aller de trois ans d’emprisonnement à une condamnation à perpétuité ; toutefois, le viol conjugal n’est pas considéré comme un délit" pouvait-on lire dans un rapport du Département d’Etat américain sur l’Egypte, publié en mars 2006.

L’Office des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) a également mis en garde contre la comparaison des statistiques de viol de différents pays : "Dans le cas de certaines catégories de crimes violents – viols ou agressions, par exemple – les comparaisons entre pays sont parfois peu fiables et trompeuse".

"Personne ne vient me voir pour me dire “j’ai été violée”. Cela n’arrive jamais", a déploré Mme Hamid. "Pour les victimes, le fait que quelques personnes soient au courant du viol suffit largement". Le viol pose aussi un problème au sein de bon nombre de familles. C’est particulièrement vrai dans les régions plus traditionnelles de l’Egypte où "des crimes d’honneur" sont parfois commis pour sauver l’honneur de la famille de la personne violée, a expliqué Mme Hamid. Dans certaines régions du sud de l’Egypte, l’auteur du viol est souvent un membre de la famille, un oncle peut-être, mais c’est souvent la victime qui porte la responsabilité du viol, a-t-elle dit.

"C’est une question d’honneur. Parfois un frère ou un cousin peut tuer la victime sous prétexte qu’elle l’a cherché, qu’elle l’a provoqué, qu’elle n’est pas digne et qu’elle a une tenue vestimentaire indécente… Bien sûr, ce n’est pas la faute de la victime, mais à qui allez-vous le faire comprendre ? À la fille ou à la société?".

Toujours selon le rapport du Département d’Etat américain sur l’Egypte, les crimes d’honneur ne sont pas techniquement illégaux en Egypte.

Refus de l’aide. Craignant qu’on les rejette ou qu’on leur fasse du mal, les victimes de viol refusent généralement toute aide et affrontent seules le traumatisme post-viol. " Je n’ai jamais eu à traiter de cas de viol de femme égyptienne ; c’est plutôt étrange. Je pense que les femmes ont trop de gêne à venir chercher de l’aide. Les femmes en arrivent à considérer que c’est leur faute si elles ont été victimes de viol", a indiqué Mme Dinesen. "Elles sont choquées, abasourdies. Elles ont très peur, ressentent de la colère, des crises d’angoisse ; elles ont aussi en quelque sorte l’impression d’être devenues des moins que rien".

Les victimes de viol craignent pour leur réputation au sein de leur famille, vis-à-vis de leurs amis, à l’université et à l’école, et même lorsqu’elles essaient de se marier, a-t-elle dit. "Il ne faut pas que d’autres personnes soient au courant du viol", a expliqué Mme Hamid. "La jeune fille ne veut dire à personne qu’elle s’est fait violer".

Le nombre de cas de viol ne semble pas diminuer, a fait remarquer Mme Ghozlan, ajoutant que bon nombre de jeunes hommes sont sans emploi et sans ressource – si bien que les mariages sont retardés, ce qui crée chez eux des frustrations sexuelles et leur laisse assez de temps libre pour se rendre coupables de harcèlement sexuel, et penser à commettre des viols.

Source :IRIN.
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