Désengagement, un film d’Amos Gitaï

Désengagement, un film d'Amos Gitaï

Avignon, été 2005. Ana retrouve Uli, son demi-frère israélien, à l’occasion de la mort de leur père. Elle décide de retourner en Israël à la recherche de sa fille qu’elle a abandonnée à la naissance, 20 ans plus tôt. A leur arrivée, Ana et Uli sont pris dans la tourmente du retrait des colons de Gaza… Sortie 9 avril 2008…

Dans ce film, le but est de traverser les frontières, de réunir des gens qui semblent totalement étrangers les uns aux autres. Après tout, les êtres humains savent qu’ils ont la possibilité de se rencontrer. S’ils n’avaient pas cette capacité d’oublier, et non simplement de se souvenir, ils ne pourraient ni se rencontrer, ni avancer. Se désengager du passé permet de se diriger vers une forme de réconciliation. Le film montre combien les désirs humains sont souvent écrasés par les forces géopolitiques. Même lorsque les gens ont de bonnes intentions, envie de faire quelque chose de leur vie, la réalité leur réserve bien souvent un tout autre programme. Et ce programme, au Moyen-Orient, sabote leurs destins. Les humains peuvent-ils renverser la machine politique ? La question reste ouverte.

Ana
Le personnage d’Ana s’ennuie et recherche le changement. Elle a de vraies références culturelles, mais à ce moment de sa vie, elle est lassée de tout cela. Les rencontres intellectuelles ne la satisfont plus. Elle a besoin d’une véritable rencontre émotionnelle, d’une rencontre physique, concrète. Uli, qui vient pourtant d’un kibboutz, la comprend. Chacun des deux, au sein de son propre univers socioculturel, se sent à part. Ni Uli ni Ana ne sont en accord avec leur société. C’est ce qui les rend intéressants. En un sens, le voyage en Israël, où les enjeux sont très différents puisque le drame y est toujours extérieur, est vital pour Ana. Le Moyen-Orient se réécrit chaque jour. Quiconque participe à l’histoire politique du Moyen-Orient n’est pas face au calme naturel de l’évolution de l’Histoire. L’Histoire tente de nous impressionner en atteignant sans arrêt de nouveaux sommets parfois dans le tragique, parfois dans l’absurde. Donc lorsqu’Ana arrive en Israël et qu’elle est confrontée à ce genre de drame extérieur, elle se calme et devient plus raisonnable.

Juliette Binoche a relevé le défi d’endosser ce rôle qui l’a menée vers les extrêmes. Les hommes peuvent se sentir menacés par l’ouverture de Juliette, tout comme Uli se sent menacé par Ana : par sa nudité, par sa joie et par le fait qu’elle est hors de toutes les conventions sociales et de ce qui est considéré comme le bon goût. Elle se moque des conventions. Et elle en joue et aime provoquer. Comme une enfant. C’est la marque d’un tourment intérieur d’autant plus grand que tout, autour d’elle, est très statique. Ce qui l’agite encore plus. Elle veut refaire le monde. Ce grand tourment intérieur vient du fait qu’elle a dû faire face au monde extrêmement policé de la haute bourgeoisie. Elle est coincée entre deux mondes. C’est ce qui correspond aux propres sentiments du réalisateur Amos Gitaï dont le père est venu d’Europe et la mère est née en Israël.

Inspiration
C’est le fils du réalisateur qui est dans un sens à l’origine de ce film. Ben faisait son service militaire en août 2005. C’est en l’accompagnant dans l’opération du retrait de l’armée israélienne de la bande de Gaza qu’il a pu convaincre les soldats de le laisser passer. Finalement, il a reçu l’autorisation d’entrer dans les colonies avec des journalistes, juste avant l’évacuation. Arrivé de nuit, il a vu le début des heurts entre les forces armées et les colons. Cet épisode de la vie israélienne l’a fait une très forte impression. À peu près à la même époque, il est tombé sur le livre « L’homme sans qualités » de Robert Musil, écrit entre les deux guerres mondiales et qui décrit l’état d’esprit d’un homme en rupture avec les grands débats idéologiques de l’époque. Dans le second tome, le personnage principal retrouve sa sœur après la mort de leur père. Le réalisateur n’a pas adapté le livre, mais il a juste voulu que l’état d’esprit des deux personnages principaux soit inspiré de Musil.

Amos Gitai, le réalisateur, est différent d’Amos Gitai le citoyen. Amos Gitai le citoyen est contre l’installation de colonies israéliennes sur le territoire palestinien. Il l’a toujours été, de même qu’il est pour la paix et la réconciliation. Il pense néanmoins qu’il ne faut pas traiter les gens comme des pions. « Si les gouvernements israéliens successifs, de droite comme de gauche, ont encouragé, financé et poussé ces gens à s’installer sur le territoire palestinien, il est logique que lorsqu’on les évacue et qu’on détruit leurs maisons, on provoque des drames. » Dans cet état d’esprit seulement il affirme « Je peux comprendre les colons même si je suis en désaccord avec eux ».

Solution ?
Pour Amos Gitaï, il faut admettre qu’une solution politique au Moyen-Orient sera trouvée à partir d’une situation imparfaite. « Les solutions politiques sont très différentes des solutions artistiques. Je crois que bien souvent les intellectuels et les artistes ne font qu’augmenter la confusion. Quand vous réalisez un film, écrivez ou peignez, vous pouvez être aussi radical que vous le souhaitez. Vous devez rester proche de votre vérité profonde et ne jamais faire de compromis. La politique n’a rien à voir avec les arts et, parfois, ceux qui vont de l’art vers la politique se perdent. Ce n’est pas comme réaliser un film. Je crois que les Israéliens et les Palestiniens feront la paix seulement lorsqu’ils accepteront l’idée que les solutions politiques sont imparfaites par nature ».

Désengagement – Un film d’Amos Gitaï
Sortie en France 9 avril 2008
Acteurs : Juliette BINOCHE, Liron LEVO, Jeanne MOREAU, Barbara HENDRICKS, Dana IVGY, Hiam ABBASS, Tomer RUSSO, Israel KATORZA, Yussuf Abu WARDA, Uri KLAUZNER…