La Moustache, un roman de Tahsin Yücel

La Moustache, un roman de Tahsin Yücel
La Moustache, un roman de Tahsin Yücel

Roman turque. La moustache turque, on l’imagine noire comme l’ébène, dense, parfois brillante, bien taillée, tournée majestueusement vers le haut. Mais alors peut-on imaginer un Turc sans moustache? Difficile. C’est en tout cas ce que nous raconte ce roman, l’histoire d’une moustache turque derrière laquelle se cache le fils d’un notable dans un village d’Anatolie.

Après la mort de son père et de retour du service militaire, un jeune homme nommé Cumali ne se rase plus. Jusqu’au jour où il décide de se rendre chez le barbier du village, Ziya, un personnage fort populaire et respectable. Une fois installé sur le fauteuil en cuir du coiffeur, ce dernier ne veut pas lui raser la moustache, symbole de virilité et de tradition héritée de père en fils.

Le barbier s’applique pour bien tailler ladite moustache, comme un artiste fier de son œuvre. Le travail terminé, l’artiste est satisfait de son œuvre, et voilà le jeune Cumali complètement métamorphosé. Presque méconnaissable. Il n’est plus le jeune homme jadis soumis et effacé mais un homme riche et sûr de lui-même en reprenant les affaires de son défunt père. Bref, la transformation est tellement symbolique qu’au-dessus de ses lèvres s’est en effet installé un autre homme qui deviendra bientôt, aux yeux des villageois, rien de moins que la réincarnation de la gloire passée, et même à venir, du pays tout entier. La moustache du jeune homme inspire une telle admiration et une telle considération jusqu’à séduire les plus belles femmes. Bientôt, il va concourir pour le prix de la plus belle moustache du pays.

La Moustache, un roman de Tahsin YücelFace à cette ferveur, la vie de Cumali se résume désormais à un seul objectif, comment conserver sa moustache dans le meilleur état possible afin de continuer à impressionner tout le monde et jouir de sa nouvelle notoriété. Mais pour que cela puisse continuer, il va falloir faire beaucoup de sacrifices. Ainsi, sa propre personnalité va petit à petit se cacher derrière sa nouvelle apparence. Une nouvelle identité qui va jusqu’à l’enfermer dans une superficialité destructrice. Le jeune se voit même obligé de changer de patronyme, rien que pour rendre hommage à ses victorieux poils recourbés au-dessus de sa bouche.

Le jeune Cumali a beaucoup changé en tout cas. Même sa femme ne le reconnaît plus. C’est alors qu’elle essaye de le raisonner, le détourner de cette nouvelle identité. Déçue et en colère, elle décide de s’éloigner. Elle va même jusqu’à négliger son mari et faire une chambre à part. Le voila devant un dilemme, un défi et un paradoxe. La moustache qui devait le rendre plus viril l’éloigne de sa propre femme. Alors que peut-il faire pour y remédier ?

Le roman est une belle fable philosophique que l’on pourrait considérer comme une forme de regard direct sur les choses et sur la valeur de certains attributs sociaux. L’auteur, Tashin Yücel, tente de répondre à la question suivante: comment rendre compte de la folie qui agite le monde sans pour autant l’empêcher de tourner?