Le hidjab, de l’université au monde du travail

Le hidjab, de l’université au monde du travail, liban

A la lumière de la récente décision du parlement turc de lever l’interdiction du port du foulard dans les universités, Nathalie Nahas, doctorante à l’Université Américaine de Beyrouth, évalue ses conséquences, sur un plan général, pour les femmes musulmanes au Moyen-Orient, au moment où elles quittent l’université pour le monde du travail.

Beyrouth – Le 9 février 2008, 411 des 550 membres du parlement ont voté en faveur d’un amendement constitutionnel supprimant l’interdiction du port du foulard, ou hidjab, dans les universités turques. L’amendement stipule que “l’Etat, en tant que fournisseur de services tels que des cours universitaires traitera tous et chacun à égalité, et que personne ne peut être exclu de l’enseignement pour des raisons qui ne seraient pas clairement établies par la loi”.

Une controverse est née de cet événement récent: porter ou non le foulard, est-ce à l’Etat ou à la personne de décider ? Cependant, une question rarement débattue dans les médias, mais peut-être tout aussi importante pour une jeune musulmane, est celle de l’effet que peut avoir le port du hidjab pour des diplômées de l’université ambitieuses et impatiente de trouver leur place dans le monde du travail.

Au Moyen-Orient, les musulmanes ont à se battre sur deux fronts: se réserver le droit de choisir de porter ou non le hidjab, et, quel que soit le choix, affronter le jugement des autres.

Mardi dernier, en allant à un de mes cours à l’Université Américaine de Beyrouth (UAB), je cherchais du regard une amie, Nadine. N’apercevant pas son foulard rose, et croyant donc qu’elle n’était pas encore arrivée, je suis allée m’installer à ma place. Juste une minute plus tard, j’eus la surprise de l’entendre m’appeler, et j’ai été abasourdie de constater qu’elle avait enlevé son foulard.

“Alors, tu l’as enlevé ?”, dis-je, en pointant du doigt mes propres cheveux. “Eh oui, répondit-elle avec des gloussements nerveux. Tu comprends, j’essaie de devenir une spécialiste en sciences sociales, et porter le hidjab entraîne trop de conséquences”.

Il est bien vrai que de nos jours le foulard est devenu un symbole chargé de connotations religieuses, politiques et sociales. Mais les raisons qui poussent les femmes à le porter ou non, sont souvent diverses.

L’image d’une femme qui, parce qu’elle porte le foulard, serait opprimée et dominée par la société arabe patriarcale dans laquelle elle vit ne va plus de soi, car, du moins au Liban, la plupart des jeunes femmes sont directement impliquées dans leur décision de porter ou non un foulard.

L’UAB est généralement perçue comme un lien où les extrêmes se rencontrent: certaines jeunes femmes s’habillent de façon conventionnelle, tandis que d’autres montrent pas mal de leur peau. Il en résulte que quelques jeunes femmes portent le foulard comme un moyen de marquer leurs distances par rapport à des extrêmes de licence.

Des anthropologues comme Robert Murphy ont analysé le rôle du voile dans l’interaction sociale. Il écrit, dans Social Distance and the Veil: “L’interaction est par définition une menace, et la réserve, vue ici comme une figure de la prise de distance, sert à assurer une protection partielle et temporaire du moi.”

C’est ainsi que, dans une société qui prête tant d’attention à l’apparence physique et où l’identité sexuelle se trouve dans une phase de transition relativement ambiguë, le foulard est souvent mentionné comme un moyen de protection, voire d’affirmation, d’une identité.

Si certaines jeunes femmes choisissent, au contraire, de ne pas porter le foulard, c’est parce qu’elles entreraient dans une catégorie qui diminuerait leurs chances de trouver un emploi. Une étudiante m’a posé ironiquement cette question: “Avez-vous jamais vu des commerciales qui ne seraient pas grandes, belles, et parfaitement coiffées? Avec mon savoir-faire dans le marketing je pourrais vendre autant que toutes ces autres filles”, dit-elle avec un haussement d’épaules, “mais on ne donnerait pas cher de mes compétences si je portais le foulard.”

Voilà, me semble-t-il, le plus injuste dans cette affaire. La véritable raison qui a conduit Nadine à enlever son foulard, c’est la pression et la peur d’être rejetée ou perçue différemment, non en tant que croyante, mais en tant que professionnelle.

“Imagine-toi un peu”, me dit-elle, “qu’un jour j’aie à mener une étude sur les taux de divorce et à mener des entretiens approfondis avec des femmes "modernes". Je ne peux m’empêcher de penser qu’elles auraient forcément des préjugés sur mon compte en me voyant coiffée d’un foulard.”

Nadine croit que les personnes à qui elle parle ne manqueraient pas de supposer qu’elle est trop traditionaliste pour accepter la différence. En tant que spécialiste des sciences sociales elle se trouverait exposée à de nombreuses situations dans lesquelles elle voudrait être évaluée en fonction de sa seule compétence. Elle pense que son foulard ferait dévier l’opinion qu’on a d’elle.

Bien qu’il n’y ait pas, au Liban, de loi interdisant de porter le foulard, certaines femmes admettent que celui-ci peut les gêner pour prétendre à certains emplois, ou les empêcher de progresser dans certaines professions.

Si une femme estime que ses aptitudes et compétences sont jugées en fonction des valeurs que véhicule un foulard, cela devient une forme de discrimination comme n’importe quelle autre dans son lieu de travail.

Certaines femmes portent le foulard comme signe visible de leur identité musulmane ou parce qu’il s’agit pour elles d’une obligation religieuse, d’autres parce qu’elles estiment qu’il leur confère un air de respectabilité. En tous cas cela n’a rien à voir avec leurs capacités professionnelles, et il serait vraiment injuste de supposer autre chose.

* Nathalie Nahas est doctorante à l’Université Américaine de Beyrouth (UAB), mention “anthropologie”. CGNews. Photo : Marypmadigan – Flicker.
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