Les Hadiths de l’Islam revus et corrigés

Les Hadiths de l'Islam revus et corrigés

La possibilité d’une « réformation islamique » comparable au mouvement qui fut à l’origine du protestantisme au sein du christianisme semble attrayante – en tout cas en surface – et a été soutenue avec enthousiasme par les athées comme Salman Rushdie. Mais les musulmans qui sont résolus à tenter de réformer leur religion considèrent cette éventualité comme absurde.

Un reportage, plutôt enthousiaste, diffusé la semaine passée dans l’émission Today de la BBC a salué un fait nouveau qui « pourrait marquer le début d’une réforme » dans l’islam.

Ce qui a enthousiasmé la BBC, c’était le fait que le Département des Affaires religieuses turc allait sous peu publier une nouvelle version des hadiths, recueil des paroles et des actions attribuées au prophète Mahomet. Les hadiths jouent un rôle important dans la jurisprudence islamique, en particulier concernant les questions sur lesquelles le Coran ne dit rien, et c’est sur ceux-ci, bien plus que sur le Coran, que reposent la plupart des fatwas – ou opinions religieuses – les plus ineptes qu’émettent les érudits religieux.

Aux premiers jours de l’islam, les paroles du Prophète se transmettaient de bouche à oreille jusqu’à ce qu’elles soient finalement consignées par quelqu’un. Combien des paroles attribuées au Prophète sont-elles authentiques ? C’est là une question de point de vue, mais que certaines ne le soient pas – cela ne fait aucun doute. Dans son livre, Progressive Muslims (les musulmans progressistes), Scott Kugle écrit :

« …Il est très difficile d’établir l’authenticité de la plupart des discours qu’on attribue au Prophète Mahomet. Il est clair cependant que de nombreux propos lui sont attribués rétrospectivement, sans l’avoir été de façon fiable. Les musulmans sont confrontés à des hadiths dans lesquels les propos que l’on prête au Prophète traitent de questions qui n’existaient pas de son temps, des questions telles que: le schisme entre chiites et sunnites, les diverses hérésies théologiques ou même la consignation systématique des hadiths.

Le matériel douteux comprend les condamnations pour homosexualité, auxquelles font souvent référence les érudits aujourd’hui, alors qu’elles sont apparues bien après la mort du Prophète :

« Des hadiths contenant des récits forgés de toute pièce condamnant les relations sexuelles avec une personne du même sexe ont commencé à circuler véritablement pendant la période abbasside (750-1258 AD), à une époque où il était courant chez les aristocrates et à la cour d’avoir un jeune esclave mâle ou un beau porteur de vin à son service ou encore de s’afficher avec un amoureux du même sexe. Un grand nombre de hadiths circulaient au nom du Prophète pour régler le problème de ces pratiques-là, et cela faisait partie de la guerre culturelle des traditionalistes à l’encontre de l’élite cosmopolite des grandes villes abbassides».

S’appuyant sur ces exemples, Kugle soutient que « la re-évaluation de l’authenticité des hadiths est la clef de la réforme juridique et sociale chez les musulmans ».

Et c’est pratiquement ce qu’est en train de faire le Département des Affaires religieuses en Turquie, en re-examinant tous les anciens recueils de hadiths, pour en éliminer le contenu « désuet, misogyne ou anti-chrétien » (pour citer le correspondant de la BBC), et pour en retirer « le bagage culturel » considéré comme n’ayant pas de fondement justifié dans la religion, comme par exemple: la pratique de l’excision et la règle selon laquelle une femme ne peut pas voyager sans la permission d’un homme. Cette règle, selon le Département, était à l’époque une simple mesure de sécurité qui n’est plus pertinente aujourd’hui.

Le principe de cet exercice est bon, simplement il faut prendre des précautions.

Au sein de la branche sunnite de l’islam (dont la plupart des musulmans sont issus), il existe quatre écoles principales sur le plan juridique – l’école d’Hanafi, celle de Malaki, celle de Shafii et celle d’Hanbali. Leur influence respective varie d’un pays à l’autre, mais celle qui domine en Turquie c’est l’école d’Hanafi.

Une des différences essentielles entre ces écoles c’est la pertinence qu’elles accordent aux hadiths. L’école d’Hanafi tend à être plus prudente par rapport à ceux-ci que les autres, et par conséquent, les jugements qui s’en inspirent sont souvent plus souples.

Il n’est donc pas du tout surprenant qu’un pays comme la Turquie, où domine le courant Hanafi, ait entrepris une telle révision des hadiths. Cela aurait été bien plus étonnant s’il s’agissait de l’Arabie saoudite par exemple, où prédomine l’école d’Hanbali et où les érudits produisent les jugements légaux les plus conservateurs, souvent fondés sur une lecture littérale du Coran et une acceptation absolue des hadiths.

Une des critiques adressée à l’encontre de l’école d’Hanafi consiste à dire qu’à cause de cette souplesse qui la caractérise, les décisions de justice qui en émanent ont été influencées par la politique tout au long de l’histoire. Tandis que l’école d’Hanbali, si profondément attachée aux hadiths,est relativement indifférente à l’influence politique; en Arabie saoudite, c’est même plutôt l’inverse, c’est elle qui tend à contrôler la politique.

En Turquie, le Département des Affaires religieuses n’est pas un organe indépendant; il a été conçu selon la constitution pour gérer les relations entre le gouvernement et les communautés religieuses, conformément aux principes de la laïcité établis par Kemal Atatürk. Vu ce contexte, la relecture et la révision des hadiths par le Département auront beau être académiquement des plus rigoureuses, il subsistera toujours un point d’interrogation à ce sujet dans l’esprit des musulmans en dehors de Turquie aussi bien que pour les plus traditionalistes à l’intérieur du pays. Cela ne brisera pas non plus la glace avec les musulmans alaouites de Turquie – de la branche chiite de l’islam – dont le nombre s’élèverait à environ 12 millions de personnes.

Il est regrettable que ce processus très nécessaire de re-évaluation des hadiths soit imprégné, en Turquie, de l’implication de l’Etat. Séparer l’Etat de la religion, ce n’est pas seulement laisser les muftis en dehors de la politique; c’est aussi laisser le gouvernement en dehors de la religion.

Par Brian Whitaker, journaliste au quotidien The Guardian – CGNews. – The Guardian – www.guardian.co.uk
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