La guerre en Irak: chacun son point de vue

La guerre en Irak: chacun son point de vue

Devant le regain de violence que connaît l’Irak, Lisa Schirch, professeur de construction de la paix à l’Université mennonite de l’est des Etats-Unis, envisage la possibilité d’un rapprochement entre le récit que font les Américains de la guerre et celui des Irakiens, notamment pour ce qui concerne l’engagement militaire américain en Irak.

Les Américains et les Irakiens ont deux manières différentes de raconter l’histoire de la guerre en Irak. Pour la plupart des Irakiens, l’invasion conduite par les Etats-Unis n’a fait que jeter de l’huile sur le feu de la violence. Chez les Américains, le récit dominant est que les forces des Etats-Unis sont en train de juguler la violence des sectes et de redresser ainsi la situation. Ce fossé dans la manière d’appréhender les choses est en train de miner gravement les efforts diplomatiques déployés dans le monde musulman, ce qui rend nécessaire un effort encore plus grand pour comprendre le point de vue irakien.

La semaine dernière, à Amman, je prenais le thé avec un groupe de travailleurs du développement communautaire. Partie d’abord sur leurs efforts pour réconcilier les chefs sunnites, chiites et kurdes à travers l’Irak, la conversation roula ensuite sur une question plus générale: comment concilier les récits américain et irakien sur la guerre ?

“Les Américains se rendent-ils bien compte qu’ils ont aggravé la situation? Savent-ils vraiment qu’avant la guerre il n’y avait pas d’al Qaïda ici, alors qu’à présent nos villes regorgent de terroristes?”

Côté irakien, la version dominante de l’histoire, bien que pas la seule évidemment, donne à peu près ceci:

“Nous étions quelques-uns, il est vrai, à souhaiter que les Etats-Unis nous aident à renverser Saddam Hussein. Mais à présent nous pensons presque tous que les Américains sont restés trop longtemps. La présence des Etats-Unis en Irak, outre qu’elle jette de l’huile sur le feu de la violence des sectes, a fonctionné comme un aimant pour al Qaïda et d’autres combattants étrangers. Les Irakiens se sentent humiliés par l’occupation et croient que, si les Etats-Unis s’attardent chez eux, c’est pour y installer des bases militaires permanentes et assurer l’accès des sociétés américaines au pétrole irakien. Nous voulons que les Etats-Unis annoncent le calendrier de leur départ. Dès que les Etats-Unis seront partis la violence s’apaisera.”

Les Irakiens désignent l’affront de l’occupation comme la principale raison de leur désir de voir les Etats-Unis quitter leur pays. Pour beaucoup d’entre eux, c’est l’intérêt des Américains à la fois pour le pétrole irakien et pour l’établissement de bases militaires permanentes qui influence, sinon détermine leur politique irakienne. Paradoxalement, disent-ils, les partisans d’une partition en douceur de l’Irak sont des alliés improbables. Une partition en soi aurait pour effet d’accroître l’influence des Etats-Unis, de l’Iran, d’al Qaïda et des gros intérêts pétroliers. A l’inverse, la plupart des Irakiens eux-mêmes préfèrent un gouvernement central fort et qui maîtrise son propre pétrole

Le point de vue irakien est confirmé par les sondages. Cette semaine, un nouveau sondage ABC/BBC a révélé que les Irakiens, à plus de 70 pour cent, veulent voir partir les Américains. Dans l’ensemble, ils pensent que le “renfort“ de troupes US, loin d’apaiser la violence l’aurait plutôt attisée. Des sondages antérieurs réalisés par World Public Opinion ont révélé que presque la moitié de la population est en faveur des agressions contre les soldats américains, alors qu’un pour cent seulement soutient les violences sectaires contre des civils.

Ici, aux Etats-Unis, le discours dominant est totalement différent. En voici la teneur:

"Oui, nous avons peut-être eu tort au départ de nous lancer dans cette guerre. Mais maintenant, les Etats-Unis ont une part de responsabilité dans la lutte contre la violence sectaire qui menace d’écarteler le pays. Les dirigeants américains de tous bords sont convaincus que les Etats-Unis doivent maintenir leur présence jusqu’à ce que la situation sécuritaire soit meilleure. L’opinion américaine dans son ensemble estime que l’instauration d’une démocratie vivante en Irak est vitale pour les intérêts des Etats-Unis dans la guerre contre la terreur“.

A l’intérieur de ce récit, de nombreux Américains ne voient que deux options possibles: soit une présence américaine durable, soit un retrait qui entraînerait automatiquement une guerre des sectes. Mais il existe cependant une troisième voie pour un engagement responsable des Etats-Unis en Irak.

Il y a un an déjà, le Général Petraeus lançait cet avertissement: “il n’y a pas de solution militaire; la seule solution est économique et politique". Si la présence des Etats-Unis nourrit la violence au lieu de l’apaiser, c’est donc qu’il faut aller un pas plus loin: retirer les troupes américaines, soutenir les forces internationales de maintien de la paix, tisser une diplomatie régionale solide et mettre l’argent qu’il faudra pour venir en aide à une population de près de cinq millions de personnes déplacées. Ce plan ressemblerait plus aux souhaits véritablement démocratiques du peuple irakien. Il est grand temps que les Américains poussent les Irakiens plus directement dans le dialogue afin de pouvoir combler le fossé qui sépare ces récits bien différents. Le discours politique sur l’Irak doit intégrer la société civile, le gouvernement ou les dirigeants religieux. Il doit aussi intégrer les résultats des sondages et des élections qui, tous deux, témoignent du désir des Irakiens de voir les forces militaires américaines quitter leur pays.

* Lisa Schirch est professeur de construction de la paix à l’Université mennonite de l’est des Etats-Unis, directrice de la 3D Security Initiative. Elle a travaillé en Irak avec des organisations locales de construction de la paix. CGN.

Voir aussi "La guerre en Irak en Photos"

{moscomment}