Un pont entre les Etats-Unis et l’Iran

Un pont entre les Etats-Unis et l'Iran - FOR

Refusant le climat de méfiance qui sévit entre les Etats-Unis et l’Iran, Leila Zand, coordonnatrice américano-iranienne d’un programme d’échanges civils, propose plusieurs initiatives que les citoyens des deux pays pourraient prendre afin de relancer la coexistence pacifique et le dialogue.

La deuxième série d’entretiens entre l’Iran et les Etats-Unis sur la sécurité en Irak ouvre une nouvelle fenêtre pour le dialogue et la négociation entre ces deux pays. Toutefois, le climat entre les Etats-Unis et l’Iran reste à la méfiance, ce qui laisse intacte l’éventualité d’une nouvelle conflagration désastreuse au Moyen-Orient.

La poursuite de la politique d’isolement et de sanctions diplomatique ne fera rien pour éloigner cette possibilité. Dans ces conditions, les Américains et les Iraniens que nous sommes voudrions enfin faire quelque chose pour l’avenir de nos deux pays. Que pouvons-nous faire individuellement pour aider à trouver une solution viable, ou tout au moins un dialogue, qui ferait avancer la coexistence pacifique entre nos deux pays?

En raison de sa situation géopolitique, l’Iran est une puissance majeure dans un Moyen-Orient déstabilisé. L’Iran partage une histoire, une culture et une religion avec deux de ses voisins, l’Irak et l’Afghanistan, où les Etats-Unis sont militairement présents. De plus, ce pays exerce un contrôle considérable sur le pétrole du golfe Persique. Les Etats-Unis auraient donc tout intérêt à s’en faire un partenaire dans la région.

Toutefois, la crise des otages de 1979 a semé à tout jamais la crainte de l’Iran dans l’esprit des Américains. Pendant 444 jours, toutes les agences de presse d’Orient et d’Occident retentissaient des nouvelles de cet acte illicite. Certes, la majorité des Iraniens étaient contre la prise d’otages, mais leur opinion n’était pas rapportée dans la presse, pas plus que les motifs qui avaient poussé les étudiants à séquestrer des Américains. Aucun organe de presse ne fit le rapport entre cet acte et les actes du gouvernement américain en 1953, lorsque la CIA favorisa le renversement de Mohammad Mossadegh, le premier ministre légitimement élu de l’Iran. Malgré l’existence de cette cause profonde, les craintes américaines ont perduré, surtout depuis le développement récent du programme nucléaire iranien.

Après le renversement of Mossadegh et pendant le règne du Shah, les Etats-Unis ont directement pris en main la politique intérieure et extérieure de l’Iran. Après 1979, lorsque le peuple s’est soulevé contre le Shah, les Etats-Unis n’ont jamais vraiment compris pourquoi leur soutien à la monarchie avait été si riche de séquelles et de ressentiments.

Si le gouvernement américain continue d’exiger de nouvelles sanctions contre l’Iran et continue de qualifier de "terroristes" les Gardiens de la révolution, les choses ne risquent pas de s’arranger. De plus, en leur qualité de superpuissance, les Etats-Unis doivent agir avec impartialité dans leurs rapports avec tous les pays du Moyen-Orient.

Ils devraient donc amorcer avec l’Iran un dialogue sur la résolution des crises régionales, à commencer par le processus de paix israélo-palestinien. Puissance majeure dans la région, l’Iran peut exercer une influence vitale sur les mouvements anti-israéliens de la zone. Plus Israël, et surtout les Etats-Unis, essaient d’écarter l’Iran de la prise de décision dans la région, plus les Iraniens se sentiront bafoués.

Les Etats-Unis doivent également faire cesser leur soutien aux mouvements associatifs issus de la base. Depuis quelques années, les femmes iraniennes instruites se sont retroussé les manches pour faire un travail de base sans précédent dans l’histoire du pays. Aux mouvements de femmes se sont ajoutés des mouvements ouvriers et étudiants.

Tous ces mouvements assurent qu’ils n’ont pas besoin d’aide extérieure. Depuis que les Etats-Unis ont affecté 75 millions de dollars à un fonds pour la promotion de la démocratie en Iran, la vie de ces mouvements de la base est devenue plus compliquée. Toute assistance directe ou indirecte de ce fonds aux mouvements démocratiques est considérée comme une tentative d’ingérence extérieure en vue de renverser le régime. Elle empêche de fait les activistes et les mouvements d’opposition d’entrer en contact et de dialoguer avec leurs homologues américains.

Les Etats-Unis et l’Iran pourraient et devraient décider ensemble de repartir du bon pied. Leur alliance raviverait l’image ternie des Américains dans la région et préparerait la voie à l’avènement de la paix au Moyen-Orient. Cette alliance serait incompatible avec une intervention militaire directe; bien au contraire, elle doit être définie parallèlement par les deux parties, dans un esprit de respect et de confiance mutuels. Il faut faire comprendre aux Iraniens que leur souveraineté politique, sociale et culturelle n’est pas et ne sera pas mise en cause par cette alliance.

L’établissement de relations durables exige, de part et d’autre, un effort constant vers une meilleure compréhension de l’autre. Plus nous accepterons nos différences et plus nous respectons le mode de vie de l’autre, plus nous nous rapprocherons de ce but. Un premier pas consisterait peut-être à cesser de s’asséner des épithètes agressifs du style "Grand Satan" et "Axe du Mal". Ce n’est qu’alors que nous pourrons comprendre ce que signifie le mot "démocratie" pour un Iranien, et ce que signifie "liberté" pour un Américain.

En intervenant directement, l’opinion américaine et l’opinion iranienne pourront remplir le vide laissé par nos diplomates. Nous devons être informés, engagés, actifs. Chacun de nous doit se faire citoyen-diplomate. L’idée n’est pas nouvelle, elle existait déjà avant la Guerre froide. Les citoyens-diplomates s’activent lorsque leur gouvernement et la diplomatie officielle sont impuissants pour réduire les tensions politiques et restaurer des relations normales. Un citoyen-diplomate peut se rendre dans un pays, étudier la culture et l’histoire de l’"autre" et construire, à tout le moins, un pont citoyen entre deux rives adverses.

*Leila Zand, américaine d’origine iranienne, elle est la coordonnatrice du programme pour l’Iran de FOR (Fellowship of Reconciliation). www.forusa.org – CGNews.
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