Dépourvu de financements et privatisé, le système de santé au Liban souffrirait aussi des appartenances politique et confessionnelle… Résultat : la plupart des libanais sont privés des soins médicaux les plus élémentaires…
IRIN. Lorsque Hamza Shahrour a été victime d’une crise cardiaque, en juin dernier, ce jeune musulman chiite de 24 ans pensait peut-être pouvoir s’en sortir, étant donné la proximité de l’hôpital Rafik Hariri (du nom de l’ancien Premier ministre sunnite, nommé à la tête de cinq gouvernements). Or, les médecins ont refusé de soigner Hamza parce que sa famille n’avait pas contracté d’assurance maladie et n’avait pas de quoi payer les milliers de dollars américains exigés pour la caution.
Mais le pire restait à venir. Dans le conflit politique qui oppose le gouvernement libanais sunnite à l’opposition chiite, les médecins auraient refusé de soigner Hamza à cause de sa confession, selon sa mère.
Hamza a été transféré dans la banlieue sud de Beyrouth, à l’hôpital Rasoul el Azam (Grand Prophète) appartenant au Hezbollah, un mouvement politico-religieux chiite, et géré par celui-ci. D’après la mère du jeune homme, l’hôpital dispense des soins médicaux gratuits à la famille, bien que celle-ci n’ait pas d’assurance-maladie. Mais Hamza est décédé pendant son évacuation à l’hôpital, d’un bout à l’autre de la ville, par la Croix-Rouge libanaise.
"J’aurais aimé que mon fils fut de confession sunnite", a confié Raheja Shahrour, la mère de Hamza. « Peut-être qu’il serait encore vivant, assis à côté de moi, plutôt que décédé pour n’avoir pas été admis à l’hôpital Hariri ».
Ce qui est arrivé à Hamza est loin d’être un cas isolé, affirment les médecins et analystes, dans un système de santé basé sur les appartenances politique et confessionnelle depuis la guerre civile (de 1975 à 1990), dépourvu de financements et privatisé au point que la plupart des citoyens sont privés des soins médicaux les plus élémentaires, faute de moyens.
Au cours des 20 dernières années, le ministère de la Santé publique a construit 27 hôpitaux publics, mais près la moitié d’entre eux ont dû fermer en raison d’une mauvaise gestion et du manque de financements, selon Ismaël Sukkareye, un membre de la commission parlementaire qui a travaillé avec l’Organisation mondiale de la santé (OMS) à l’élaboration du rapport « Right to Healthcare » (Le droit aux soins de santé), relatif au système de santé libanais et publié en arabe, en décembre 2007. Selon ce rapport, sur les plus de 1 500 lits que comptent les hôpitaux publics, seuls 300 sont en service actuellement.
Le Liban compte en revanche 175 hôpitaux privés, équipés d’environ 14 500 lits en service. Ces établissements sont généralement dotés d’installations plus modernes et offrent des soins de meilleure qualité. En 2006, le gouvernement n’a investi au total que 400 millions de dollars dans les soins médicaux, alors que les dépenses totales dans le secteur de la santé s’élevaient à 686 millions de dollars, selon le rapport de l’OMS. « Le ministère de la Santé encourage actuellement la privatisation des soins de santé, en transférant de plus en plus de patients des hôpitaux publics vers les hôpitaux privés », a fait remarquer M. Sukkareye.
En 1971, 14 hôpitaux privés avaient signé des contrats avec le ministère pour soigner des patients dans le cadre de la politique de soins de santé publique. En 2000, on en comptait 134».
Lorsqu’un patient est soigné dans un hôpital privé dans le cadre de cet accord de « transfert », le ministère de la Santé doit régler 90 pour cent du montant de la facture.
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Or, le gouvernement a de plus en plus de difficultés à payer ses factures, a expliqué M. Sukkareye ; les hôpitaux privés se retrouvent donc largement déficitaires et depuis 2006, plus aucun de ces établissements n’accepte de tels transferts du public au privé.
L’incapacité du gouvernement à payer les factures de soins de santé publique oblige les Libanais à souscrire des contrats d’assurance maladie privée très chers. D’après le rapport de l’OMS, publié en décembre, seuls 27 pour cent des Libanais peuvent se le permettre. Les travailleurs migrants ou les demandeurs d’asile pauvres sont particulièrement vulnérables face à un système de santé aussi coûteux.
Les chiffres fournis dans ce rapport révèlent l’ampleur du problème des soins de santé au Liban. Sur les 2 700 patients nécessitant des soins pour une pathologie rénale, 1 200 étaient des fonctionnaires bénéficiant d’une assurance maladie publique ; compte tenu de leur statut, 100 s’étaient fait payer leurs factures par l’armée, 400 avaient une assurance maladie privée, tandis que 1 000 avaient dû payer leurs factures de leur poche, sans aucune aide.
Selon certains médecins, ce sont les 15 années de guerre civile ruineuses qui sont responsables du retard de développement du système de santé libanais et de son morcellement entre les différentes communautés et confessions religieuses.
« Avant la guerre civile, qui a éclaté en 1975, le Liban avait les meilleurs hôpitaux et médecins de la région », a affirmé le docteur Ibrahim el Haber, qui a également participé à l’élaboration du rapport de décembre dernier.
« Mais pendant que le Liban traversait des moments difficiles, les pays de la région amélioraient leurs systèmes de santé. Après la guerre civile, le système de santé libanais a reposé sur des considérations confessionnelles. Chaque groupe confessionnel dispose désormais de ses propres hôpitaux et cliniques, qui offrent des soins gratuits aux membres de leur propre communauté ».
Les médecins de la clinique Hariri, gérée et contrôlée par le mouvement Sunni Future, et de l’hôpital Rasoul el Azam, contrôlé par le Hezbollah, affirment tous que leurs services étaient ouverts à toutes les personnes nécessitant des soins. Toutefois, pour le docteur Ali Shahrour de l’hôpital Rasoul el Azam, s’il est vrai que son établissement « prodigue des soins à tous les patients, sans exception », la « priorité est quand même donnée aux militants du Hezbollah et à leurs familles », conformément à la stratégie de l’hôpital. « Pendant que vous servez votre pays, vous vous attendez à ce que quelqu’un s’occupe de la santé de votre famille », a affirmé M. Shahrour. « Nous considérons les combattants de la résistance et toute autre personne vivant à Daheye [les banlieues sud contrôlées par le Hezbollah] comme étant des nôtres ».
De même, pour le docteur Khaled Bsat de la clinique Hariri de Tarek el Jdeide, un quartier majoritairement sunnite, son personnel « donne des médicaments gratuits à tous les patients, non pas en fonction de leur confession, mais parce que tout le monde a besoin de se soigner ».
Mais lorsqu’un patient est partisan du mouvement Sunnite Future, il est certainement soigné en priorité.
« Le Liban est un Etat confessionnel, mais même si nous ouvrons des cliniques dans des zones sunnites, nous donnons des médicaments à tout le monde », a indiqué M. Bsat. « Mais en tant que Sunnites, nous devons nous occuper des patients sunnites avant les patients de toute autre confession ».
Pour le député Sukkareye, la réforme du système de santé passe par une gestion indépendante des hôpitaux publics et privés, pour éradiquer la corruption et le gaspillage.
« Il n’existe pas de politique de santé claire et personne n’exerce de contrôle sur les dépenses », a indiqué M. Sukkareye. « Nous avons besoin de commissions indépendantes pour reprendre la gestion des hôpitaux. Il faut mettre un terme à cette pratique consistant à faire des bénéfices dans les structures de santé ».
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