Tribune. En matière de liberté tout est relatif. La réalisatrice Diana Ferrero revient sur son documentaire They Call Me Muslim. Le film qui traite de la question du hijab porte sur la vie de deux femmes : Samah, en France, et Kay X., à Téhéran. A chacune sa notion de la « liberté »…
Téhéran – Lorsque, par une matinée de neige à Téhéran, elle m’a ouvert sa porte pour m’accueillir chez elle, K. (pour protéger son anonymat), une mère de 33 ans, m’a fait l’effet d’une apparition inattendue. C’est une femme aux cheveux bruns, qui parle couramment l’anglais avec un surprenant accent américain et qui n’avait sur elle qu’un mini-short et une brassière moulante, laissant voir la peau nue et la coupe de cheveux à la garçonne.
Ce jour-là, K. m’a parlé, face à ma caméra, trois heures d’affilée. Elle parlait en toute liberté, sans hésitation et sans mâcher ses mots, courageuse jusqu’à la provocation – c’était plus que je n’aurais pu espérer en tant que journaliste en Iran.
“Non, je n’ai pas peur”, dit-elle à la fin, alors que je rembobinais ma dernière bande. “C’est là ce que je pense vraiment, et dans ce que j’ai dit il n’y a rien dont je ne serais prête à assumer les conséquences. … Je suis vraiment très heureuse d’avoir pu vous parler de moi.”
Je n’ai passé que deux semaines en Iran. J’y étais arrivée avec mon passeport italien, dans l’espoir de tourner la deuxième partie de mon premier documentaire, They Call Me Muslim – un projet que j’avais entrepris de réaliser alors que j’étais boursière Fulbright à l’Ecole Supérieure de Journalisme de Berkeley.
Mais c’est dur de faire un film en Iran – en particulier pour une femme. Je devais porter le hidjab, pour passer inaperçue en filmant mes séquences. Tourner des scènes dans le métro, dans les rues ou à des soirées clandestines tardives était risqué, car la police iranienne patrouille les rues et surveille de près les femmes pour les obliger à respecter le code vestimentaire.
Mais le plus dur, en réalité, était d’avoir accès à des femmes désireuses de me raconter leur histoire.
Avant mon départ, j’avais mis en place plusieurs entretiens parmi mes contacts irano-américains en Californie. Mais en arrivant en Iran, ma source principale était trop effrayée pour participer au projet, si bien que j’ai dû commencer par des rencontres privées avec d’autres femmes – avocates, réalisatrices, journalistes, blogueuses, photographes – et, pour terminer, avec K., une femme qui estimait qu’un documentaire pouvait transcender les stéréotypes et donner au monde occidental une image précise des femmes iraniennes.
Mais l’Iran n’était que la moitié de mon histoire.
They Call Me Muslim est le récit de deux femmes qui se battent pour leur liberté personnelle – l’une qui veut porter le hidjab, l’autre qui veut le quitter.
Samah, une Française musulmane qui vit à Paris, se sent nue sans son hidjab, et pourtant elle n’a pas le droit de le porter en classe. K., au contraire, ne le porterait pas si elle n’y était pas forcée par le régime.
Mon film a été tourné entre décembre 2004 et janvier 2005. L’idée m’en était venue à peu près un an plus tôt, lorsque la France a adopté une loi controversée interdisant le port dans les écoles publiques de tout symbole religieux, parmi lesquels le hidjab. Cette loi ne suscita qu’un faible intérêt aux Etats-Unis, mais en France elle a donné lieu à un débat passionné, Je me suis mise à me représenter le dilemme qu’allaient devoir affronter plusieurs filles musulmanes sommées de choisir entre croyance religieuse et éducation.
Ayant vécu à Paris pendant mon adolescence, j’étais perplexe devant ce qui se passait en France. La loi sur les symboles religieux concernait 800 filles musulmanes, et celles, en petit nombre, qui ont refusé de renoncer au hidjab, ont même été expulsées de l’école. Il me semblait paradoxal qu’un pays comme la France – un des véritables exemples de démocratie en Occident, et un pays aussi profondément ancré sur les principes révolutionnaires de Liberté, Egalité, Fraternité – expulse des écoles publiques des filles qui exerçaient leur Liberté dans un domaine personnel. La France paraissait refuser à son peuple un des principe de base et fondements de la démocratie.
Mon propos, en réalisant ce film, était d’explorer la liberté de choix dans les deux cultures, orientale et occidentale, dont ni l’une ni l’autre, bien sûr, n’est monolithique. Je voulais prêter une voix à des minorités, luttant contre des lois discriminatoires. En France, des filles voulant porter le hidjab étaient considérées comme des rebelles. Mais en Iran, les rebelles c’étaient les filles qui osaient se promener dans la rue en portant des microfoulards, transparents et glissants. Je voulais permettre à ces femmes de parler en leur propre défense. Et en définitive le message – s’il y en a un – est que les femmes doivent être libres de choisir, de trouver leur propre parole, et de dialoguer les unes avec les autres pour mieux se comprendre.
Après avoir vu le film, aussi bien K. que Samah ont exprimé du respect pour la position de l’autre. Alors que Samah ne voyait pas dans l’Iran un exemple de l’Islam, car à son avis, les femmes ne devraient pas être contraintes de porter le hidjab, K. pensait que la laïcité française – fondement de la démocratie – serait mieux appréciée par quelqu’un qui vit en Iran. De fait, elle m’a laissé entendre son désir de s’installer en France un de ces jours.
* Diana Ferrero, née à Rome, est reporter et productrice ; elle travaille actuellement à Washington, pour la nouvelle chaîne d’Al-Jazeera en anglais. Cet article fait partie d’une série sur la liberté d’expression écrite pour le Service de Presse de Common Ground CGNEWS.