Longtemps considérés comme ennemis, les islamistes sunnites et chiites se retrouvent désormais alliés de circonstance. Du Hamas à l’Iran, du Hezbollah aux Frères musulmans, une internationale islamiste se dessine — unie non par la foi, mais par la même idéologie : la revanche contre l’Occident, la délégitimation d’Israël et la reconquête symbolique du monde musulman.
Par Faraj Alexandre Rifai.
Une rivalité ancienne, transformée en convergence idéologique
Depuis quatorze siècles, le clivage entre sunnisme et chiisme structure le monde musulman.
Mais depuis deux décennies, leurs branches islamistes ont su contourner ces divergences théologiques pour bâtir une coopération tactique, nourrie par un ennemi commun : l’Occident, Israël et la modernité libérale.
Ce qui se joue n’est pas un rapprochement religieux, mais une alliance d’intérêts idéologiques.
Les islamistes chiites de Téhéran et les islamistes sunnites liés aux Frères musulmans partagent une même vision du monde : celle d’une civilisation islamique humiliée, appelée à se redresser par la force, la propagande et la religion politisée.
Le cas Hamas–Iran : l’exemple le plus frappant
Le Hamas, issu des Frères musulmans (courant sunnite), reçoit depuis les années 1990 un soutien constant de l’Iran chiite [1]. Cette alliance défie toute logique théologique : d’un côté un mouvement sunnite palestinien, de l’autre un régime chiite théocratique. Mais la convergence idéologique l’emporte sur la divergence doctrinale : le rejet d’Israël et la haine de l’Occident deviennent le ciment commun.
Téhéran finance, arme et entraîne les milices du Hamas, tandis que le Hezbollah — autre acteur chiite — sert de relais stratégique. C’est un exemple typique de coalition islamiste transconfessionnelle, née d’un même projet de puissance et de revanche. Ce modèle s’étend via des parrains étatiques, qui instrumentalisent l’islamisme comme levier géopolitique.
Une internationale islamiste, pas confessionnelle
Loin d’un dialogue interreligieux, cette alliance est une entente politique entre deux visions totalisantes. Les islamistes chiites y voient un moyen d’étendre leur influence révolutionnaire.
Les islamistes sunnites, eux, trouvent en Iran et au Hezbollah des alliés puissants contre Israël et les régimes arabes modérés, mais aussi pour imposer leur charia.
De ce rapprochement découle une internationale islamiste qui dépasse les frontières du dogme.
Elle s’appuie sur trois piliers :
- La haine d’Israël, moteur symbolique ;
- Le rejet de l’Occident et de la laïcité ;
- Le rêve d’un ordre islamique mondial.
C’est moins une unité religieuse qu’une solidarité de ressentiment et d’ambition.
Du sectarisme à la stratégie
L’islamisme, qu’il soit chiite ou sunnite, n’est pas une théologie : c’est une stratégie de conquête politique. Les divergences historiques s’effacent dès qu’il s’agit d’entrer dans la logique du djihad ou de la propagande. La rhétorique victimaire devient un outil commun : l’humiliation coloniale, la “résistance” contre l’Occident, la “défense” des musulmans dans le monde. Ainsi se forge un récit unifié de la revanche islamiste, où le discours religieux n’est qu’un prétexte à la mobilisation politique.
Le rôle des États : Téhéran, Doha, Ankara
Cette convergence est encouragée par trois capitales qui utilisent l’islamisme comme instrument d’influence :
- L’Iran, chef de file chiite, soutient des mouvements sunnites radicaux — Hamas, et de manière tactique les Talibans afghans post-2021 [2] — quand cela sert sa stratégie régionale.
- Le Qatar, allié des Frères musulmans, finance la propagande médiatique (Al Jazeera) et les réseaux d’activistes.
- La Turquie d’Erdogan, héritière de la mouvance frériste, coopère ponctuellement avec Téhéran dans une logique d’opportunisme anti-occidental (ex. : Syrie, lutte contre les Kurdes).
Trois agendas, un même levier : l’islam politique comme outil de puissance et de contestation mondiale.
Une alliance contre-nature, mais durable… avec des limites
Cette coalition islamiste transconfessionnelle n’est pas un signe de paix religieuse, mais de guerre idéologique. Son unité repose sur le rejet de l’autre : Israël, les États-Unis, l’Europe, ou même les régimes arabes modérés. Tant que ces ennemis existeront, la coopération entre islamistes chiites et sunnites perdurera.
Mais cette convergence reste fragile. Dès que l’ennemi commun s’éloigne, les fractures refont surface — au Yémen (Houthis chiites vs. sunnites saoudiens), en Syrie (conflits entre milices pro-Iran et groupes fréristes), ou en Irak (rivalités post-2003). Leur union n’est donc pas fondée sur l’amour de Dieu, mais sur la haine partagée de la liberté.
Focus Moyen-Orient.fr
Les islamistes chiites et sunnites ne rêvent pas d’unité religieuse : ils partagent un projet de domination politique. L’islamisme est devenu la langue commune des extrêmes, unissant des adversaires d’hier autour d’un même combat : la destruction d’Israël, la diabolisation de l’Occident, et la tentative de régression des sociétés musulmanes — comme l’illustrent les lois répressives sur les femmes en Iran ou sous les Talibans.
Sources
[1] Council on Foreign Relations, Iran’s Support for Hamas, 2024.
[2] International Crisis Group, Iran and the Taliban, 2023.