Face à la pénurie croissante d’eau, la coopération régionale prend une dimension stratégique.
Entre Israël, pionnier mondial de la gestion hydrique, et les monarchies du Golfe, confrontées à un stress hydrique sans précédent, se dessine une diplomatie nouvelle : celle de l’eau comme levier de paix et d’innovation partagée.
2030–2040 : la soif du Golfe, un défi existentiel
Les projections du World Resources Institute sont sans appel : d’ici 2040, six des dix pays les plus menacés par la pénurie d’eau se situeront au Moyen-Orient. L’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Koweït, Bahreïn, mais aussi le Qatar et Oman, figureront parmi les plus exposés.
La demande urbaine et industrielle explose, les nappes phréatiques s’épuisent à un rythme alarmant, et la désalinisation — bien que vitale — reste une solution de court terme. Ses coûts énergétiques sont colossaux, et ses rejets de saumure concentrée menacent la biodiversité marine du Golfe, malgré les progrès vers l’énergie solaire.
Dans ce contexte, la sécurité hydrique devient un enjeu de souveraineté, au même titre que la sécurité alimentaire ou énergétique. Pour les États du Golfe, il ne s’agit plus seulement d’acheter des technologies, mais de bâtir une autonomie durable fondée sur la recherche, la data et les partenariats.
Israël : laboratoire de l’eau et modèle exportable
Depuis les années 1960, Israël a fait de la gestion de l’eau un pilier national. Son secret ? Une combinaison de technologie, de rigueur et d’une culture de la rareté.
- 90 % des eaux usées traitées et réutilisées (record mondial)
- Le dessalement alimente plus de 50 % de la consommation domestique
- Le goutte-à-goutte, inventé par Simcha Blass, a révolutionné l’agriculture aride mondiale
Au-delà de la technique, c’est une philosophie du pragmatisme : chaque goutte compte, chaque perte est une erreur systémique. Les entreprises israéliennes comme IDE Technologies Mekorot ou Netafim ont exporté leur savoir-faire en Inde, en Afrique, en Californie — et désormais vers le Golfe, où capitaux et besoins sont immenses.
L’eau, nouvel axe de coopération Israël–Golfe
Depuis les Accords d’Abraham (2020), l’eau est devenue le terrain le plus concret du rapprochement israélo-golfe. Exemple concret : aux Émirats, IDE Technologies s’est associée à Masdar pour développer une usine de dessalement 100 % solaire à Al Khafji, en Arabie saoudite frontalière, avec des systèmes de contrôle numérique israéliens intégrés aux réseaux émiratis. À Bahreïn, des start-ups israéliennes déploient des capteurs IoT pour réduire les fuites — jusqu’à 30 % dans certains quartiers de Manama. En Arabie saoudite, aucun accord officiel n’existe encore, Riyad n’ayant pas normalisé avec Israël, mais des discussions avancent en marge du projet Neom, via des consortiums internationaux (États-Unis, Europe, Asie). ;À terme, le royaume pourrait devenir un client majeur, mais par des voies indirectes.
Comparatif hydrique régional :
- Israël : stress hydrique élevé, mais 90 % de réutilisation des eaux usées et plus de 50 % d’approvisionnement domestique par dessalement.
- Émirats : stress hydrique extrême, environ 40 % de réutilisation et 80 % de dessalement.
- Arabie saoudite : stress hydrique extrême, moins de 20 % de réutilisation et 70 % de dessalement.
Ces chiffres montrent une réalité paradoxale : plus la ressource manque, plus la technologie devient un facteur d’unité et d’interdépendance.
Vers une « hydro-paix » ?
Ce concept, encore théorique il y a dix ans, prend forme. Dans une région fracturée par la religion, le pétrole et les frontières, l’eau crée une communauté d’intérêt tangible. C’est le seul dossier où les États parlent le même langage : celui de la rareté, de la science et du besoin vital.
L’eau ne résout pas les conflits, mais elle installe une logique de co-dépendance positive : sans coopération régionale, aucun pays ne sécurisera son avenir hydrique. Ainsi, la paix pourrait venir non pas des traités politiques, mais des pipelines de dessalement, des algorithmes de gestion et des fermes irriguées au goutte-à-goutte.
Focus Moyen-Orient.fr
La diplomatie de l’eau annonce une mutation profonde : le Moyen-Orient de demain ne sera pas seulement celui du pétrole et du gaz, mais celui des technologies de survie.
Et dans cette révolution silencieuse, Israël, longtemps isolé, devient un partenaire incontournable — même pour ceux qui ne le reconnaissent pas encore officiellement.
L’eau unira-t-elle le Moyen-Orient plus que le pétrole ne l’a divisé ?