Le pari audacieux de Trump sur Ahmed al-Sharaa : une opportunité risquée pour la Syrie et le Moyen-Orient

Macron avait reçu al-Sharaa à l’Élysée dès janvier 2025, deux semaines après les massacres d’Alaouites à Lattaquié. Un geste perçu comme hâtif, sans condition ni contrepartie, motivé par le symbole plus que par la stratégie. Trump, lui, a attendu presque un an avant d’ouvrir les portes de la Maison-Blanche — avec des exigences précises : coopération sécuritaire avec Israël, désengagement iranien, inclusion minoritaire. La différence est frappante : Trump impose des conditions, la France distribue des accolades. Trump parle de stabilité, Macron d’image. Trump parie sur les rapports de force, la France sur la rhétorique des principes. Résultat : Washington façonne le terrain, pendant que Paris commente depuis les tribunes.

La rencontre historique du 10 novembre 2025 entre Donald Trump et Ahmed al-Sharaa à la Maison-Blanche marque un tournant inattendu. Pour la première fois depuis 1946, un président syrien foule le sol de Washington. Ancien chef du groupe djihadiste Hayat Tahrir al-Sham (HTS) – ex-branche d’al-Qaïda –, al-Sharaa est désormais reçu en allié potentiel. Ce pari, typiquement trumpien, conjugue audace stratégique et ambiguïté morale : une main tendue au réalisme, mais sur un fil.

Les motivations : redessiner la carte régionale autour d’une Syrie « réhabilitée »

Trump applique à la Syrie sa doctrine du deal pragmatique. Il ne s’agit plus de transformer le Moyen-Orient par la démocratie, mais de stabiliser la région en s’appuyant sur les nouveaux rapports de force. L’objectif est triple : affaiblir l’axe russo-iranien, relancer la reconstruction économique, et étendre les Accords d’Abraham à la Syrie.

  • Affaiblir Téhéran et Moscou. Depuis la chute d’Assad en décembre 2024 – orchestrée par des factions issues d’Idlib –, la présence iranienne s’est effondrée. La rencontre Trump–al-Sharaa accélère ce retrait et ouvre la voie à une Syrie plus indépendante.
  • Reconstruire et réintégrer. La suspension pour 180 jours des sanctions César pourrait libérer un afflux d’investissements et enclencher la remise en route d’une économie exsangue.
  • Vers la paix régionale. Al-Sharaa vient de signer l’intégration à la coalition anti-EI et promet l’exploration d’une normalisation progressive avec Israël, marginalisant le Hezbollah et remodelant l’équilibre du Levant.

La stratégie : de l’ennemi djihadiste au partenaire sous condition

L’approche repose sur un rebranding progressif et une diplomatie transactionnelle. Washington mise sur des engagements mesurables plutôt que sur des promesses idéologiques.

  • Rebranding politique. De Riyad (mai 2025) à Washington (novembre), al-Sharaa passe du chef de guerre au chef d’État, mais avec des conditions posées par l’Administration de Trump.
  • Coopération sécuritaire. Des opérations conjointes anti-EI ont été engagées ; l’intégration partielle des SDF à l’armée nationale est en cours ; des milliers de combattants étrangers devront être expulsés. selon l’accord.
  • Rôle des alliés régionaux. Ankara soutient la transition, Riyad finance, et une présence logistique américaine autour de Damas est évoquée comme garantie. Et pour couronner cette stratégie, un accord triparti (USA, ISraël et Syrie) sur le Mont Hermon pour garantir la sécurité d’Israël et prévenir les tensions.

Les risques : une réhabilitation sous haute surveillance

Le pari comporte des contradictions sérieuses. Les mises en garde portent sur une possible légitimation prématurée d’un écosystème politico-sécuritaire dont les réflexes n’auraient pas disparu.

Catégorie Risques principaux Analyses d’experts
Sécuritaires Résurgence de l’EI ou d’al-Qaïda si HTS conserve ses réseaux ; porosité entre structures locales et transnationales. Alertes récurrentes sur des liens persistants et sur une “optique trompeuse” si les factions d’Idlib perdurent sous d’autres formes.
Humanitaires Risque de pressions sur minorités (druzes, kurdes, chrétiens) ; nominations de cadres contestés ; déficit d’inclusion des femmes. ONG : “Façade inclusive, mais pratiques autoritaires possibles.” Craintes pour les communautés anciennes et les dissidents. Les poursuites ne sont pas encore pérennisées.
Géopolitiques Réserves d’Israël (Golan) et des Kurdes (SDF) ; perception ambivalente dans la base sunnite. Risque d’un équilibre instable si la coopération anti-EI est perçue comme purement opportuniste.
Réputationnels Crédibilité occidentale fragilisée si la réhabilitation se fait sans garde-fous vérifiables. “Victoire de communication” possible pour Damas ; pression accrue pour des benchmarks publics et datés.

« Al-Sharaa change de visage et de costume : il devra prouver qu’il change de fond. »

Et la France ? Le choix de l’immobilisme moral

Macron avait reçu al-Sharaa à l’Élysée, quelques semaines après les massacres d’Alaouites. Un geste perçu comme hâtif, sans condition ni contrepartie, motivé par le symbole plus que par la stratégie. Trump, lui, a attendu presque un an avant d’ouvrir les portes de la Maison-Blanche — avec des exigences précises : coopération sécuritaire avec Israël, lutte contre Daech, désengagement iranien, inclusion minoritaire.

La différence est frappante :

  • Trump impose des conditions, avant de signer et de recevoir, la France distribue des accolades.
  • Trump parle de stabilité, Macron d’image et de symbole creux.
  • Trump parie sur les rapports de force, la France sur la rhétorique des principes.

Résultat : Washington façonne et prépare le terrain, pendant que Paris commente depuis les tribunes et conférences, sans effets.

Conclusion : un pari stratégique, pas moral

Le pari de Trump peut être considéré comme un coup de réalisme, pas un acte de foi. Il offre à la Syrie une seconde chance, mais à conditions : transparence, inclusion et rupture avec l’extrémisme. S’il réussit, la Syrie pourrait devenir le maillon marquant des Accords d’Abraham élargis. S’il échoue, elle replongera dans son rôle de poudrière régionale.

Trump, fidèle à sa logique de joueur, parie sur un ancien ennemi pour remodeler le Moyen-Orient. Mais la mise est haute, la marge d’erreur peut être large, et le résultat imprévisible.

🔍 Focus Moyen-Orient.fr
En misant sur la réhabilitation d’un ex-djihadiste devenu président, Washington redéfinit la diplomatie de la rédemption. La question n’est plus seulement : peut-on faire la paix avec ses ennemis ? mais : jusqu’où peut-on aller pour stabiliser un monde sans morale ?
A propos Faraj Alexandre Rifai 384 Articles
Faraj Alexandre Rifai est un auteur et essayiste franco-syrien, auteur de "Un Syrien en Israël" fondateur de Moyen-Orient.fr et de l’initiative Ashteret.