Les Émirats, nouveaux architectes de la diplomatie au Moyen-Orient ?

Les Émirats, nouveaux architectes de la diplomatie au Moyen-Orient _

Depuis la signature des Accords d’Abraham en 2020, les Émirats arabes unis (EAU) se sont imposés comme des acteurs incontournables de la diplomatie au Moyen-Orient. Entre coopération sécuritaire avec Israël, dialogue avec l’Iran, normalisation avec la Syrie et rôle stratégique dans le plan Trump pour Gaza, Abu Dhabi incarne une diplomatie pragmatique qui transcende les clivages traditionnels. Mais ce rôle de « nouveaux architectes » de la région est-il durable face aux tensions populaires et aux rivalités régionales ?

Des pionniers de la normalisation arabe avec Israël

a signature des Accords d’Abraham en 2020 a marqué un tournant historique, faisant des EAU le premier pays du Golfe à normaliser officiellement ses relations avec Israël. Ce rapprochement a conduit à l’ouverture d’ambassades, une explosion des échanges économiques (passant de 50 millions de dollars en 2020 à 2,5 milliards en 2024, selon le ministère émirati de l’Économie) et une coopération renforcée dans les domaines militaire et technologique. Par exemple, des partenariats dans la cybersécurité (avec des entreprises comme NSO Group) et l’agriculture high-tech (irrigation intelligente) illustrent cette dynamique. Les EAU se positionnent ainsi comme un pont économique et stratégique entre Israël et le monde arabe.

Une diplomatie pragmatique : équilibre entre Israël, Iran et Turquie

Les EAU se distinguent par leur capacité à dialoguer avec des acteurs aux intérêts divergents. Malgré leurs tensions avec l’Iran, notamment sur le dossier yéménite, Abu Dhabi maintient des canaux diplomatiques ouverts, comme en témoigne la visite du ministre émirati des Affaires étrangères à Téhéran en 2023. Par ailleurs, les EAU ont amorcé un rapprochement avec la Turquie après des années de tensions, marquées par des divergences sur la Libye et les Frères musulmans. Ce pragmatisme vise à positionner les EAU comme un médiateur régional capable de parler à tous, tout en sécurisant leurs intérêts stratégiques.

Les Émirats et le plan Trump pour Gaza : un rôle stratégique

Dans le en 2025, les EAU sont des partenaires clés.

Les EAU sont des partenaires clés dans le plan Trump pour Gaza proposé en septembre 2025. Ils se positionnent comme contributeurs majeurs à la reconstruction, avec un engagement estimé à 2 milliards de dollars pour des infrastructures (hôpitaux, écoles) et une participation à une administration internationale provisoire, selon des déclarations du ministère émirati des Affaires étrangères en 2025. Leur statut de pays arabe normalisé avec Israël leur confère une légitimité unique pour servir de pont entre l’Occident, Israël et le monde arabe. Sans leur implication, le plan manquerait de relais arabes crédibles pour promouvoir une coexistence post-Hamas.

Les Émirats sur le front syrien

Les EAU ont joué un rôle pionnier en rouvrant leur ambassade à Damas dès 2018 et en soutenant la réintégration de la Syrie dans la Ligue arabe en 2023. Leur objectif : limiter l’influence de l’Iran et de la Turquie tout en sécurisant des opportunités économiques dans la reconstruction syrienne (ex. : projets immobiliers à Damas, estimés à 1 milliard de dollars). La chute de Bachar el-Assad en 2025 et l’arrivée au pouvoir d’Ahmed al-Sharaa, leader de Hayat Tahrir al-Sham, ont ouvert une nouvelle phase. Les EAU ont intensifié leurs contacts avec al-Sharaa, notamment via des réunions à Abu Dhabi en janvier 2025 (selon des rapports de l’Observatoire syrien des droits humains), pour peser dans la transition politique et économique. Pour Washington et Tel-Aviv, ce rôle complète le plan Trump en stabilisant la Syrie, contenant l’Iran, le Hezbollah et la Turquie, et favorisant une intégration régionale incluant Israël.

Soft power et image internationale

Les EAU investissent massivement dans le sport (Formule 1, sponsoring de clubs européens), la culture (Louvre Abu Dhabi, Expo 2020) et l’éducation (création de campus universitaires internationaux). Ces initiatives projettent une image de modernité et attirent l’attention occidentale. Par exemple, l’Expo 2020 a généré 33 milliards de dollars de retombées économiques, selon le gouvernement émirati, renforçant leur influence globale.

Limites et fragilités de ce rôle diplomatique

Malgré ces succès, le rôle des EAU est fragilisé par plusieurs facteurs. La guerre à Gaza a ravivé l’hostilité de la « rue arabe » envers la normalisation avec Israël : un sondage de l’Arab Barometer (2024) montre que 65 % des citoyens arabes rejettent les Accords d’Abraham, ce qui complique la légitimité des EAU dans le monde arabe. Les rivalités avec l’Arabie saoudite, notamment sur le leadership du Golfe et les divergences dans la guerre au Yémen (où Riyad privilégie une approche militaire face à l’approche diplomatique d’Abu Dhabi), limitent la cohérence régionale. Enfin, la dépendance aux alliances occidentales (États-Unis, France) restreint leurs marges de manœuvre, notamment en cas de désaccord stratégique.

Une puissance d’influence en quête de crédibilité durable

Les Émirats arabes unis se sont affirmés comme un acteur diplomatique clé au Moyen-Orient, grâce à un savant mélange de pragmatisme, d’investissements stratégiques et de soft power. Leur rôle dans le plan Trump pour Gaza et la transition syrienne illustre leur ambition de devenir les architectes d’un nouvel ordre régional. Cependant, leur crédibilité dépendra de leur capacité à surmonter les tensions populaires et les rivalités avec des puissances comme l’Arabie saoudite. Les EAU pourront-ils maintenir leur rôle de médiateurs si les crises régionales s’aggravent, ou risquent-ils de perdre leur légitimité auprès des populations arabes ? Leur succès à long terme repose sur cette équation délicate.