Trump parie sur le Qatar pour stabiliser Gaza : un choix risqué et audacieux, entre cynisme stratégique et lucidité géopolitique.
En escale à Doha dans la nuit du 26 octobre, Donald Trump a déclaré que le Qatar pourrait, si nécessaire, envoyer des troupes à Gaza. Par sa simplicité de langage, mais aussi sa manière de bouleverser les codes, le président américain serait-il en train d’essayer une autre méthode — une diplomatie du renversement et du pragmatisme ? Le Qatar, longtemps accusé d’avoir soutenu le Hamas, se retrouverait soudainement promu garant potentiel de la stabilité. Le pari est risqué, voire audacieux : transformer les anciens pyromanes en pompiers de toutes les vertus. Et si Trump était en train de tenter une manœuvre, malgré la rudesse de son style : associer le Qatar, mais en l’obligeant autrement ?
Du financement du Hamas à la “stabilisation” de Gaza
L’idée qu’un pays ayant abrité les dirigeants du Hamas puisse participer à la sécurisation de Gaza aurait paru impensable il y a encore quelques mois. Mais pour Trump, il n’y a pas d’alliés éternels ni d’ennemis structurels — seulement des acteurs utiles à son “entreprise”, comme dans les affaires.
Le Qatar possède des leviers financiers, politiques et médiatiques qu’aucun autre pays arabe ne détient sur le Hamas. Plutôt que d’exclure Doha, Trump semble préférer le piéger dans la responsabilité : lui confier un rôle qui l’oblige à assumer les conséquences de ses propres compromissions.
C’est une manœuvre typiquement trumpienne : récompenser pour mieux neutraliser, impliquer pour mieux contrôler.
Une diplomatie du recyclage contrôlé
Ce principe — transformer les anciens pyromanes en pompiers — traverse toute la doctrine Trump depuis 2017. On le retrouve dans sa gestion du monde arabe, mais aussi dans sa vision plus large de l’ordre international : réutiliser les contradictions au lieu de les effacer.
À Gaza, le Qatar ; en Syrie, Ahmed al-Sharaa, ex-djihadiste devenu chef d’État. Deux figures d’un même modèle : celui des acteurs à la sauce islamiste, aujourd’hui réinsérés dans le jeu géopolitique au nom de la stabilité.
En Arabie Saoudite, Trump avait dit au nouveau président syrien : « Vous voulez la levée des sanctions et la reconnaissance ? Alors aidez-nous contre le terrorisme et entamez le dialogue avec Israël. »
La Syrie est loin d’intégrer les Accords d’Abraham, comme il l’a suggéré, mais on constate que le régime syrien, pourtant islamiste, a aussitôt adopté un nouveau langage : “paix régionale” et négociation avec Israël, sans passer par la case palestinienne. Le changement est plus que notable.
C’est Trump qui l’a amorcé, avec un mélange de fermeté et de bienveillance stratégique.
Trump ne réhabilite pas leurs idéologies ; il domestique leur pouvoir d’influence. L’avenir dira l’efficacité de cette tactique.
Le retour du cynisme stratégique
Cette logique rompt avec la diplomatie occidentale classique, encore prisonnière de son langage moral : droits, démocratie, modération. Trump parle un autre langage — celui du résultat.
Pour lui, si le Qatar peut contrôler le Hamas et participer à son désarmement et à la reconstruction, alors son passé n’a plus d’importance.
C’est une vision brutale, mais inédite. Toutes les chancelleries européennes reçoivent en grande pompe l’émir du Qatar, sans la moindre exigence ; aucune, même pas Macron, n’a osé ce mélange de fermeté et de bienveillance, préférant la complaisance et les remerciements éternels.
Trump, lui, veut visiblement oser transformer les faiblesses régionales en instruments de stabilisation.
Un pari dangereux, mais peut-être nécessaire
Associer le Qatar à Gaza revient à miser sur une contradiction : demander au parrain de devenir arbitre. C’est un pari risqué, car Doha reste idéologiquement lié aux mouvances islamistes et entretient une rivalité de fond avec l’Arabie saoudite et les Émirats.
Mais c’est aussi un pari peut-être indispensable, car aucun autre acteur arabe ne dispose aujourd’hui d’un accès aussi direct aux réseaux politiques, financiers et humanitaires de Gaza.
Trump l’a compris : vouloir reconstruire Gaza sans le Qatar reviendrait à construire sans fondations. Le risque est immense, mais l’alternative — le vide — le serait davantage.
Les réticences israéliennes : prudence ou méfiance stratégique ?
Du côté israélien, la perspective d’une présence qatarie à Gaza suscite naturellement la méfiance.
Pour Jérusalem, Doha reste avant tout l’un des principaux bailleurs du Hamas, un acteur double ayant longtemps financé la guerre sous couvert d’aide humanitaire.
Les responsables israéliens redoutent que toute mission militaire ou civile du Qatar ne serve de couverture à une influence prolongée sur le territoire, voire à une résurrection politique du Hamas sous un autre nom.
Mais Trump calcule autrement.
Il considère que l’exclusion totale du Qatar est illusoire : aucune solution durable ne peut émerger à Gaza sans impliquer, d’une manière ou d’une autre, l’État qui a financé, hébergé et influencé les factions islamistes.
C’est là tout le paradoxe de son plan : ce que Jérusalem voit comme un risque, Trump le voit comme une opportunité.
Peut-être estime-t-il que la seule manière de neutraliser le Qatar est de l’obliger à réussir ?
Conclusion : la stabilité sans vertu, le pari du réel
Trump ne ramène pas la morale au Moyen-Orient, il ramène le calcul du réel.
Il ne cherche pas la paix juste, mais la paix possible et réaliste. Sa vision n’est pas celle d’un idéologue, mais d’un stratège businessman :
« Mieux vaut un acteur compromis sous contrôle qu’un chaos incontrôlable. »
Faire du Qatar un garant de Gaza, c’est un pari dangereux — mais peut-être le seul qu’il reste à tenter.
Dans un Moyen-Orient fracturé, où chaque victoire morale a produit un désastre politique, ce pari incarne la brutalité du réel : la stabilité ne se conquiert plus par la vertu, mais par la fermeté bienveillante.
Et Trump, cynique ou clairvoyant, semble l’avoir compris avant les autres : aujourd’hui, la survie de l’ordre passe par ceux qui l’ont autrefois menacé.Lire aussi : Gaza : quand Trump privilégie l’action à la communication