Longtemps impensable, souvent instrumentalisée, la paix avec Israël s’impose aujourd’hui comme une question centrale au Levant. Non par adhésion idéologique, mais par contrainte stratégique. En Syrie comme au Liban, la stabilisation régionale, la reconstruction et même la survie de l’État passent désormais par une remise en cause d’un tabou fondateur.
Un tabou historique qui se fissure
Pendant des décennies, la paix avec Israël a été reléguée au rang d’hérésie politique dans le discours syrien et libanais. Elle était dénoncée publiquement, tout en étant gérée de facto sur le plan sécuritaire. Ce double langage a longtemps structuré le Levant.
Mais le contexte a changé.
La guerre syrienne a épuisé les sociétés, ruiné les économies et révélé l’inanité des slogans hérités. La question israélienne ainsi que le rejet ne disparaissent pas — lls changent de statut. La question devient un dossier stratégique, non plus un mythe mobilisateur.
Syrie : la paix comme condition de la sortie de l’isolement
La Syrie d’après-guerre se reconstruit sous pression internationale. Et cette pression est aujourd’hui explicite.
Washington, sous l’impulsion de Donald Trump, a clairement lié la levée progressive des sanctions à des engagements sécuritaires concrets de Damas. Parmi eux :
- la désescalade durable avec Israël,
- la fin de toute permissivité envers des acteurs hostiles opérant depuis le territoire syrien comme Daech,
- la stabilisation stricte du front sud.
Il ne s’agit pas d’un traité de paix formel imposé de l’extérieur, mais d’un préalable politique clair : sans apaisement sécuritaire avec Israël, il n’y aura pas se véritable reconstruction crédible.
Une évolution silencieuse du discours syrien
La rue syrienne reste hostile à Israël. Ce rejet est réel, nourri par des décennies de propagande et par une mémoire collective façonnée par le conflit. Mais un phénomène nouveau mérite attention : l’émergence de voix syriennes favorables à la paix, ou du moins à une normalisation pragmatique. Ces voix s’expriment rarement dans l’espace public, mais elles circulent dans les cercles intellectuels, économiques et politiques y compris proches du régime islamiste d’Ahmed al-Sharaa.
Chez nombre de ses soutiens, une conviction progresse : la reconstruction de la nouvelle Syrie passera, tôt ou tard, par la paix avec Israël.
Non par adhésion affective, mais par calcul rationnel. Un État détruit, sous sanctions, ne peut se permettre un conflit latent avec la première puissance militaire régionale. La paix devient ici un outil de reconstruction, non un reniement idéologique.
Le Golan : d’icône figée à dossier pragmatique
Le dossier du Golan reste symboliquement explosif, mais il n’est plus traité comme un absolu intangible. Dans les faits, ce front est l’un des plus calmes de la région depuis des décennies.
Dans les cercles proches du pouvoir syrien, poussés par les Américains, l’idée progresse qu’un arrangement sécuritaire durable, même imparfait, vaut mieux qu’un conflit gelé sans horizon politique. Dans l’état actuel des choses, la Syrie n’a pas les moyens pour ouvrir un tel débat, encore moins un tel front. La reconstruction est l’objectif primordial.
Le Liban face à ses contradictions
Si la Syrie avance vers une normalisation sécuritaire avec Israël, le Liban sera immédiatement confronté à un choc politique interne.
Officiellement en guerre avec Israël, le Liban n’en contrôle ni les leviers militaires ni les décisions stratégiques. Cette situation a permis l’installation durable d’un état d’exception, justifié par un conflit sans fin.
Une paix régionale poserait une question brutale : au nom de quoi le Liban resterait-il enfermé dans une logique de confrontation que ses voisins cherchent à dépasser ?
Un séisme politique plus qu’un tournant diplomatique
Pour le Liban, la paix avec Israël serait d’abord une épreuve de vérité :
- la réalité de la souveraineté de l’État,
- le rôle du Hezbollah et la capacité de le désarmer
En contrepartie, elle ouvrirait des perspectives concrètes : stabilisation du Sud, désescalade durable, intégration économique régionale. Mais ces gains supposent un courage politique que le système libanais peine à produire pour l’instant.
Paradoxalement, la paix avec Israël est moins taboue au Liban qu’en Syrie. Et pourtant, le pays demeure incapable de s’engager sur cette voie, prisonnier d’un conflit qu’il ne maîtrise pas, et otage d’une logique de confrontation entretenue par des acteurs armés agissant comme proxies régionaux, au premier rang desquels le Hezbollah.
Quand la paix devient un calcul de survie
En Syrie comme au Liban, la paix avec Israël cesse progressivement d’être un tabou, même si l’on ne peut que douter encore de la sincérité ou de la capacité des gouvernements syriens et libanais à la concrétiser. Elle n’est plus un horizon idéologique ni repoussoir complet : elle devient un calcul de survie nationale et un enjeu de reconstruction.
Focus Moyen-Orient.fr : une rupture de logiciel
La paix avec Israël ne résoudra pas tous les drames du Levant. Elle n’effacera ni les blessures, ni les mémoires, ni les fractures internes. Mais elle ferait tomber un verrou stratégique majeur.
En Syrie, elle s’impose progressivement comme une option rationnelle. Au Liban, elle poserait la question que tout le monde évite : peut-on encore différer indéfiniment la paix sans sacrifier l’avenir ?
En réalité, la paix, ne doit pas rester un slogan. Elle doit être une rupture de logiciel, et donc un test de maturité politique.
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