La Syrie de Sharaa : de djihadiste à président, quel avenir ?

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La trajectoire d’Ahmed al-Sharaa, ancien chef djihadiste devenu président de la Syrie après la chute du régime Assad, illustre à elle seule la complexité des dynamiques moyen-orientales. Ancien leader de Hayat Tahrir al-Cham (HTS), héritier d’al-Qaïda en Syrie, Sharaa a progressivement endossé le rôle d’homme d’État, soutenu par certains acteurs régionaux. Son accession au pouvoir pose une question centrale : peut-on transformer un passé djihadiste en légitimité politique ?

1. Un parcours singulier

Ahmed al-Sharaa, connu auparavant sous le nom d’Abou Mohammed al-Joulani, a longtemps incarné la mouvance djihadiste syrienne. Issu d’une génération marquée par la guerre en Irak puis par l’insurrection syrienne de 2011, il a su capitaliser sur l’effondrement du régime Assad pour se repositionner.

  • Phase djihadiste : enracinée dans l’idéologie salafiste et la lutte armée.
  • Phase transitionnelle : recentrage autour d’un projet syrien, rupture partielle avec la rhétorique transnationale d’al-Qaïda.
  • Phase politique : adoption d’un discours plus national, promesse de réintégration internationale et de réforme institutionnelle.

2. Les facteurs régionaux de son ascension

La survie et l’ascension de Sharaa ne peuvent être comprises qu’à travers les équilibres régionaux :

  • Turquie : partenaire pragmatique, cherchant à sécuriser sa frontière et à contenir les Kurdes.
  • Qatar : soutien diplomatique et médiatique, jouant son rôle traditionnel de médiateur.
  • Arabie saoudite : désormais favorable à la reconstruction d’un axe sunnite, prête à soutenir un profil capable de contrer l’Iran.
  • États-Unis et Europe : attentistes, cherchant avant tout à éviter un vide sécuritaire exploité par Daech.

3. Opportunités et limites de légitimation

Sharaa bénéficie d’un contexte favorable :

  • Affaiblissement de l’opposition syrienne traditionnelle.
  • Volonté arabe de tourner la page Assad.
  • Fatigue occidentale face au conflit syrien.

Mais son passé reste un frein majeur :

  • Ses liens anciens avec al-Qaïda continuent de nourrir la méfiance.
  • La société civile syrienne, notamment les minorités (alaouites, druzes, chrétiens), garde une profonde hostilité vis-à-vis de sa trajectoire initiale.
  • Sa capacité à imposer une gouvernance stable reste incertaine, dans un pays fragmenté et ruiné.

4. Les scénarios possibles

  1. Intégration progressive : Sharaa parvient à consolider son pouvoir, à se présenter comme un acteur pragmatique, et à obtenir une reconnaissance partielle sur la scène internationale.
  2. Blocage et contestation : son passé djihadiste empêche toute normalisation durable ; le pays reste divisé entre zones d’influence.
  3. Rechute idéologique : face aux blocages, une partie de son entourage pourrait renouer avec les logiques djihadistes, fragilisant toute stabilité.

L’ascension d’Ahmed al-Sharaa illustre la plasticité des trajectoires politiques au Moyen-Orient : l’ancien djihadiste devenu président incarne à la fois une opportunité et un risque. Opportunité, s’il parvient à stabiliser la Syrie et à se transformer en acteur politique responsable. Risque, si son passé idéologique et ses réseaux militants resurgissent, compromettant toute perspective de normalisation.
L’avenir de la Syrie dépendra moins de son habileté individuelle que de la capacité des acteurs régionaux et internationaux à encadrer cette transition fragile.