L’Europe face au Moyen-Orient : entre indignation et realpolitik

L’Europe face au Moyen-Orient : entre indignation et realpolitik

Le Moyen-Orient se redessine par des accords concrets, des réalignements sécuritaires et des projets de reconstruction. L’Europe, elle, s’enferme dans une diplomatie de l’émotion : plus morale que politique, plus gestuelle qu’efficace. Pendant que les autres construisent, l’Europe commente.
Par Faraj Alexandre Rifai.

Le déclin d’une diplomatie de principes

L’Europe fut jadis une référence en matière de droit international et de dialogue. Aujourd’hui, elle privilégie l’indignation à la stratégie. L’exemple palestinien est révélateur : plutôt que d’exiger des réformes structurelles avant toute reconnaissance, Bruxelles et Paris ont maintenu une aide inconditionnelle à l’Autorité palestinienne, malgré des rapports pointant depuis des décennies des détournements vers des programmes incitant à la violence.

Résultat : un statu quo récompensé, et une reconnaissance symbolique d’un « État palestinien » sans institutions viables ni contrôle territorial. Pire : cette reconnaissance précipitée et inconditionnelle est perçue comme une récompense au terrorisme.

Pendant ce temps, d’autres acteurs – États-Unis, Israël, Arabie saoudite, Émirats – ont imposé un agenda plus pragmatique. Sous l’impulsion, voire la pression, de Donald Trump, les pays arabes ont réussi à exercer une pression sur le Hamas, là où l’Europe reste floue.
Résultat : une absence totale du théâtre moyen-oriental.

La morale contre le réel

Au Moyen-Orient, la morale sans levier de puissance devient une faiblesse. Visiblement, les Américains l’ont plus compris que les Européens. Les capitales arabes recherchent des partenariats concrets : investissements, garanties de sécurité, stabilité… avec Israël compris.

L’Europe condamne et finance sans condition pendant que Washington négocie et exige.
La différence est de taille.

Les Accords d’Abraham (2020), impulsés par la première administration Trump, ont normalisé les relations entre Israël et quatre pays arabes, générant 12 milliards de dollars d’échanges commerciaux en trois ans (Banque mondiale, 2024). L’Europe les a ignorés, voire méprisés, alors qu’elle aurait pu en faire un levier de paix.

L’Arabie saoudite de Mohammed ben Salmane veut s’imposer comme une puissance d’équilibre, capable de dialoguer avec Tel-Aviv et Téhéran tout en lançant Vision 2030.
L’Europe ne l’encourage pas : au contraire, elle distille la méfiance et propose des solutions précipitées comme la reconnaissance de l’État palestinien.
Les États-Unis, eux, exercent une pression constante tout en profitant des meilleurs partenariats économiques.
Riyad a d’ailleurs abandonné la conférence qu’elle co-organisait avec la France au profit du plan Trump. Pourquoi ?

Les Émirats arabes unis, eux, ont investi 2,7 milliards de dollars dans la tech israélienne depuis 2021 et pilotent des projets humanitaires à Gaza via des ONG privées.
Ils misent sur le nouveau Moyen-Orient, sans passer par la case palestinienne.
L’Europe, sous prétexte d’humanisme, ramène le conflit à sa vieille rhétorique, c’est-à-dire à l’immobilisme.

L’Europe théorise l’« équité » ; les acteurs régionaux négocient la « sécurité ».

La lucidité américaine, la passivité européenne

Washington traite le Moyen-Orient comme un système de forces, non comme un tribunal moral ou victimaire.

Le plan Trump a esquissé un cadre clair :

  • désengagement progressif du Hamas des institutions gazaouies ;
  • supervision multinationale sous contrôle américain pour la stabilisation de Gaza, sans passer par une Autorité palestinienne corrompue et inefficace — que Macron continue pourtant à présenter comme un « pilier de la paix » ;
  • intégration régionale d’Israël ;
  • réintégration conditionnelle de la Syrie dans le concert arabe et international, toujours sous condition de dialoguer avec Israël.

L’Europe, paralysée par ses divisions internes, reste fixée sur le « droit au retour » et la « proportionnalité » des ripostes israéliennes. Sa diplomatie ressemble à un communiqué de presse, pas à une politique.

Les Arabes pragmatiques, les Européens figés

Le paradoxe est frappant : le pragmatisme vient désormais du monde arabe.
Pas de l’Europe, ce vieux continent qui s’accroche à des illusions morales qui datent depuis les années soixante-dix, et veut maintenir les pays arabes dans un cadre idéologique dépassé.

Émirats, Bahreïn, Oman et Arabie saoudite luttent contre l’islam politique et les Frères musulmans, là où l’Europe les laisse prospérer par naïveté, voire complaisance.
Les pays arabes modernisent leurs systèmes éducatifs contre la haine (suppression des contenus antisémites dans les manuels scolaires saoudiens, 2022-2024), tandis que l’antisémitisme progresse en Europe.
Ils normalisent leurs relations avec Israël sans attendre l’aval européen, alors que Paris et Bruxelles persistent à entretenir la méfiance.

Ils ne prétendent pas à la perfection morale ; ils assument leurs intérêts.
Pendant que Doha, Abou Dhabi et Riyad financent des hôpitaux à Gaza et des hubs logistiques à Haïfa, Paris organise des conférences sur la « solution à deux États » sans interlocuteur crédible, ni la moindre efficacité. Au contraire, les annonces du Président Macron sur la reconnaissance de l’état palestinien avaient ralentit les efforts pour la libération des otages et l’arrêt de la guerre à Gaza.

Le paradoxe français : la compassion sélective

La France, jadis architecte d’une politique équilibrée et farouche défenseure de la laïcité, s’est enfermée dans une posture morale incohérente, rejoignant souvent les positions les plus hostiles à Israël.
Elle dénonce avec vigueur les « excès » israéliens, mais reste discrète sur le rôle déstabilisateur du Hezbollah au Liban.
Pire, elle en inverse parfois les responsabilités : elle ne s’est même pas réjouie de l’élimination d’un haut responsable du mouvement chiite pro-iranien, pourtant impliqué dans la mort de militaires français.
Elle n’ose même plus nommer le Hezbollah ni les islamistes dans ses communiqués officiels.

Elle finance la société civile palestinienne (120 millions d’euros en 2023) sans contrôle suffisant sur l’usage des fonds, certains alimentant des réseaux proches du FPLP selon des audits internes de l’UE.
Ce n’est plus de la diplomatie, c’est une liturgie.

Elle continue de financer l’UNRWA sans condition, alors que cet organisme onusien est presque co-responsable de la haine qui a conduit au 7 octobre.
Où est la cohérence ?
Comment peut-on financer ceux qui propagent la haine et prétendre ensuite œuvrer pour la paix ?

Une Europe hors du jeu

Quand l’Europe s’indigne, les États-Unis négocient, font pression et obtiennent des résultats.
En deux semaines, Trump a obtenu la libération d’otages et la reddition partielle du Hamas — là où Washington sous Biden échouait depuis deux ans. Pourquoi ?

Quand l’Europe publie un communiqué, Israël sécurise ses frontières.
Même en Syrie, l’Europe s’est indignée contre Israël alors que ce dernier cherchait à protéger les minorités druzes et alaouites.
Quelle inversion morale !
Et quelle incohérence de recevoir Ahmed al-Sharaa à l’Élysée un mois après le massacre des Alaouites, quand Trump, lui, conditionnait toute reconnaissance et toute levée de sanctions à des engagements précis.
Et cela a d’ailleurs bien mieux fonctionné que les galas organisés à l’Élysée, sourires et accolades chaleureuses à l’appui.

Quand l’Europe prêche le droit, les Émirats investissent dans les ports de Haïfa.
L’Europe n’est plus médiatrice, ni garante, ni puissance : elle est devenue spectatrice d’un Moyen-Orient qu’elle juge sans le comprendre.

Conclusion : le retour du réel

Le Moyen-Orient entre dans une ère de pragmatisme assumé. Les alliances se nouent sur des intérêts, non sur des slogans pseudo humanistes et creux, sans la moindre efficacité sur le terrain.
Ceux qui gagnent sont ceux qui agissent, avec fermeté et conditions, non avec soumission et indignation. L’Europe s’est enfermée dans une morale de substitution : quand on ne peut plus peser, on s’indigne.
Mais la géopolitique n’est pas un tribunal. Et dans un monde qui cherche des solutions, l’Europe semble encore chercher sa conscience.

Lire aussi : Syrie : la reconstruction comme nouvel échiquier régional

A propos Faraj Alexandre Rifai 372 Articles
Faraj Alexandre Rifai est un auteur et essayiste franco-syrien, auteur de "Un Syrien en Israël" fondateur de Moyen-Orient.fr et de l’initiative Ashteret.