Éducation : la vraie révolution silencieuse du Golfe

Loin des projecteurs médiatiques, les monarchies du Golfe construisent leur avenir à travers des réformes en profondeur de l’éducation. En investissant dans les universités internationales, l’innovation pédagogique et la formation des élites locales, elles cherchent à préparer l’après-pétrole : une révolution silencieuse mais décisive, où la connaissance devient la première ressource stratégique.

Du pétrole au savoir : un changement de paradigme

Pendant des décennies, la prospérité du Golfe reposait sur une économie d’exportation énergétique. Aujourd’hui, l’or noir cède peu à peu la place à une autre richesse : le capital humain.
Les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite (et le Qatar) ont compris que la compétitivité mondiale dépend désormais de la connaissance, de la recherche et de la créativité.
Les campus universitaires internationaux qui fleurissent à Abou Dhabi ou Riyad sont la traduction la plus visible de cette transformation.

À Abou Dhabi, NYU Abu Dhabi forme une génération d’étudiants issus de 120 nationalités, tandis que la Sorbonne Abu Dhabi incarne la continuité intellectuelle entre la France et le monde arabe.

En Arabie saoudite, le programme Vision 2030 fait de l’éducation un pilier central de la transition économique, avec des universités réformées comme KAUST (King Abdullah University of Science and Technology), orientée vers la recherche et l’innovation appliquée.

Au Qatar, Education City regroupe des antennes de Georgetown, Carnegie Mellon, Northwestern ou HEC Paris, devenues de véritables laboratoires du savoir mondial.

Un modèle éducatif en quête d’équilibre

Mais cette ouverture internationale ne se limite pas à une simple importation de savoirs étrangers.
Les États du Golfe tentent d’élaborer un modèle éducatif hybride, conciliant identité locale et modernité académique.
Les programmes d’enseignement de l’arabe, de la culture islamique et de l’histoire régionale coexistent désormais avec les cursus d’intelligence artificielle, de finance comportementale ou de durabilité.

Cette dualité traduit un enjeu plus profond : comment moderniser sans déraciner ?
Les autorités éducatives du Golfe encouragent les réformes de pédagogie active, l’esprit critique et la recherche interdisciplinaire — autant de domaines longtemps négligés au profit du conformisme.
La formation des enseignants, soutenue par des partenariats avec l’UNESCO et la Banque mondiale, joue un rôle central dans cette mutation silencieuse.

Vers des programmes scolaires moins idéologiques

Cette révolution éducative ne se limite pas aux universités : elle commence dès l’école.
Depuis 2022, les Émirats arabes unis, Bahreïn et l’Arabie saoudite ont amorcé une réforme sans précédent des programmes scolaires, effaçant progressivement les contenus idéologiques hérités des décennies passées.
Les manuels scolaires ont été réécrits pour supprimer les passages hostiles à Israël, aux chrétiens ou aux autres courants de l’islam, et pour introduire des notions de tolérance religieuse, de coexistence et de citoyenneté mondiale.

Aux Émirats, ces changements s’inscrivent dans la Vision 2071 et la Charte de la tolérance, qui font de l’éducation à la paix un pilier de la formation civique.
En Arabie saoudite, le ministère de l’Éducation a remplacé les anciens cours d’endoctrinement religieux par des modules sur la pensée critique, l’innovation et l’histoire mondiale.
Bahreïn, pionnier discret de cette évolution, a introduit des cours d’“histoire des religions” et de “dialogue interculturel”.

Ces réformes traduisent une volonté claire : tourner la page de la haine institutionnelle.
Le regard sur Israël, en particulier, change subtilement : les manuels ne présentent plus l’État hébreu comme un “ennemi”, mais comme un pays avec lequel existent désormais des accords de coopération et de coexistence.
Une transformation culturelle profonde est en cours : l’éducation devient le lieu où se construit la paix avant la politique.

Ce changement d’approche révèle aussi deux visions du monde arabe.

Les Émirats et Bahreïn se sont affranchis d’un palestinisme primaire qui imprégnait les manuels et la rhétorique publique, assumant une approche de paix pragmatique.
Leur combat contre l’islamisme s’accompagne d’un recentrage sur la culture, la recherche et les projets éducatifs, piliers du nouveau Moyen-Orient post-idéologique.
L’Arabie saoudite, elle, avance avec prudence : réformiste sur la forme, mais encore hésitante sur le fond, freinée par ses cercles religieux et son besoin de consensus intérieur — même si son entrée prochaine dans les Accords d’Abraham laisse entrevoir un basculement.
À l’inverse, le Qatar incarne la trajectoire opposée : malgré ses moyens colossaux, il continue d’investir massivement dans les réseaux idéologiques islamistes et dans la sphère du palestinisme victimaire, en soutenant le Hamas et ses dérivés médiatiques.
Deux visions s’affrontent donc au cœur du monde arabe : celle de la réconciliation et du savoir, et celle de la manipulation religieuse et politique.

L’éducation comme levier de diplomatie et d’influence

Derrière la transformation éducative se cache une stratégie géopolitique.
Les universités internationales sont aussi des instruments de soft power : elles attirent des étudiants du monde entier, créent des passerelles avec l’Occident, et contribuent à redorer l’image du Golfe comme centre du savoir.
La connaissance devient ainsi un outil de diplomatie d’influence, où les États rivalisent moins par les armes que par les idées.

Pour les Émirats comme pour le Qatar, l’enjeu est clair : se positionner non seulement comme des hubs économiques, mais aussi comme des capitales intellectuelles régionales.
Dans un Moyen-Orient longtemps perçu à travers le prisme des conflits, cette diplomatie du savoir ouvre un horizon nouveau — celui de la pensée, de la recherche et de la coopération.

Conclusion : une révolution silencieuse, mais irréversible

La modernisation éducative du Golfe est peut-être la plus profonde des révolutions arabes du XXIᵉ siècle — celle qui ne fait pas de bruit, mais transforme tout.
En investissant massivement dans le savoir, les monarchies du Golfe redessinent leur avenir économique et culturel, et inventent un modèle où la modernité s’enracine dans la tradition.

Cette révolution n’a pas de slogans, pas de révoltes, pas de printemps : elle avance par la connaissance, et elle pourrait bien être la seule à durer.

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A propos Faraj Alexandre Rifai 371 Articles
Faraj Alexandre Rifai est un auteur et essayiste franco-syrien, auteur de "Un Syrien en Israël" fondateur de Moyen-Orient.fr et de l’initiative Ashteret.