Gaza : le Qatar et la Turquie à la manœuvre derrière le cessez-le-feu

Gaza - le Qatar et la Turquie à la manœuvre derrière le cessez-le-feu


Alors que les États-Unis évoquent une transition de gouvernance et une force internationale de stabilisation à Gaza, le flou diplomatique ouvre un espace aux manœuvres régionales. Derrière les discours de cessez-le-feu, le Qatar et la Turquie cherchent à imposer leur propre agenda, en conditionnant toute évolution à un rôle central d’Ankara — y compris militaire. Un jeu d’influence qui interroge la réalité du désarmement du Hamas et les équilibres stratégiques de l’après-guerre.

Une transition américaine encore largement théorique

Selon des informations relayées par Reuters, l’administration américaine travaille sur un schéma d’accélération de la transition pour Gaza associant un conseil international, des technocrates palestiniens et, potentiellement, une force étrangère chargée de la stabilisation. Le secrétaire d’État Marco Rubio reconnaît lui-même que le statu quo n’est plus tenable, tout en admettant que rien n’est arrêté.

Washington explore différentes pistes, allant jusqu’à sonder certains partenaires, dont le Pakistan, pour une participation éventuelle à une force de stabilisation. Mais aucun engagement formel n’a été pris. Cette prudence révèle une réalité centrale : à ce stade, il ne s’agit pas d’un plan opérationnel, mais d’une intention politique, encore fragile, exposée aux agendas concurrents des acteurs régionaux.

Le Hamas et l’illusion d’un désarmement négocié

C’est précisément dans ce flou que s’insèrent les initiatives du Qatar et de la Turquie. Selon plusieurs sources impliquées dans les discussions en cours aux États-Unis, le Hamas se dirait prêt à envisager un désarmement partiel, à une condition essentielle : le déploiement de troupes turques à Gaza dans le cadre d’une force internationale de stabilisation.

La proposition est révélatrice. Aux yeux du Hamas, la présence militaire turque offrirait une garantie suffisante pour conserver une liberté de manœuvre politique et sécuritaire dans l’enclave. Autrement dit, il ne s’agirait pas d’un désarmement réel, mais d’un aménagement tactique destiné à assurer la survie du mouvement sous une nouvelle couverture régionale.

Cette approche est présentée par certains intermédiaires comme la seule capable de « mettre le Hamas en confiance », la Turquie étant décrite comme l’unique acteur en mesure d’initier un processus de reddition des armes. Une affirmation contestée par de nombreux observateurs, qui y voient surtout une tentative de reconditionnement politique de l’islamisme armé.

Le rôle central — et partisan — du Qatar

Dans cette dynamique, le Qatar apparaît moins comme un médiateur impartial que comme un acteur engagé. Doha agirait à la fois comme facilitateur diplomatique, soutien financier et relais d’influence auprès de partenaires arabes, européens et occidentaux, dans le but de rendre acceptable la présence turque à Gaza.

L’enjeu dépasse largement la question humanitaire ou administrative. Il s’agit de redéfinir les équilibres régionaux, en faisant basculer Gaza d’un ancrage historiquement lié à l’axe iranien vers un nouvel ensemble sunnite structuré autour d’Ankara. Cette recomposition n’a rien d’un processus de pacification ; elle s’inscrit dans une logique de substitution d’influence.

La Turquie et le risque d’un ancrage durable à Gaza

La perspective d’un déploiement militaire turc soulève une inquiétude majeure : celle d’une présence appelée à durer. L’idéologie néo-ottomane, assumée par les dirigeants actuels d’Ankara, confère à Gaza une valeur symbolique et stratégique particulière. La perte de la Palestine par l’Empire ottoman en 1917 demeure une référence récurrente dans la rhétorique turque, et l’enclave côtière est parfois présentée comme un point d’entrée historique.

Dans ce contexte, accueillir des troupes turques sous couvert de stabilisation reviendrait à installer un nouvel acteur militaire permanent, sans garantie de retrait, et à transformer Gaza en zone d’influence stratégique. La stabilisation annoncée risquerait alors de se muer en gel du conflit, au profit d’intérêts régionaux extérieurs.

Ce que ce scénario impliquerait concrètement pour Israël

Du point de vue israélien, ce schéma poserait des problèmes majeurs. Un désarmement partiel du Hamas sous protection turque permettrait au mouvement de survivre politiquement, de conserver son appareil idéologique et son contrôle social, tout en bénéficiant d’une forme de normalisation internationale. L’objectif central de la guerre — éliminer le Hamas comme force politico-militaire — serait ainsi contourné.

La présence de troupes turques à Gaza constituerait en outre une ligne rouge sécuritaire. Elle réduirait considérablement la liberté d’action militaire israélienne et transformerait toute intervention future en incident international potentiel entre Israël et la Turquie. Gaza deviendrait une zone sanctuarisée, non démilitarisée, où la dissuasion serait affaiblie.

Ce scénario ne supprimerait pas la menace islamiste ; il la déplacerait. Israël passerait d’un adversaire soutenu par l’Iran à un mouvement protégé par un membre de l’OTAN, complexifiant dangereusement l’équation stratégique. Pire encore, accepter ce modèle reviendrait à légitimer l’idée qu’une organisation armée peut obtenir une reconnaissance politique après un massacre, créant un précédent lourd de conséquences pour la dissuasion régionale.

Enfin, un tel arrangement pourrait faire jurisprudence. Ce qui serait toléré à Gaza pourrait être revendiqué demain au Liban, sous couvert de forces internationales ou régionales, affaiblissant durablement la capacité d’Israël à contenir le Hezbollah sur son front nord.

Une stabilisation de façade, une recomposition réelle

Derrière les mots de cessez-le-feu et de transition, l’écart entre l’intention affichée et la réalité du terrain demeure profond. La gouvernance de Gaza ne se joue pas uniquement sur des schémas administratifs, mais sur des rapports de force idéologiques, militaires et régionaux.

Sous couvert de paix, c’est bien l’avenir stratégique de Gaza qui se négocie aujourd’hui : la survie politique du Hamas, la redistribution des parrainages régionaux et l’équilibre sécuritaire d’Israël. La stabilisation ne se décrète pas. Elle se construit — ou se compromet — par les choix faits maintenant.

A propos Faraj Alexandre Rifai 400 Articles
Faraj Alexandre Rifai est un auteur et essayiste franco-syrien, auteur de "Un Syrien en Israël" fondateur de Moyen-Orient.fr et de l’initiative Ashteret.