Le Liban vit en 2025 une crise sans précédent : institutions paralysées, économie ruinée, souveraineté fragmentée. Entre pression internationale et poids du Hezbollah, le pays oscille entre survie et délitement. Analyse.
Qu’est-ce qu’un État qui n’exerce plus son autorité, qui n’a plus de monnaie stable, plus d’armée pleinement souveraine, plus d’institutions fonctionnelles, plus de stratégie nationale — mais qui continue d’exister diplomatiquement et juridiquement ? Le Liban est aujourd’hui l’exemple le plus avancé de cette zone grise : un pays légal survivant sur le papier, un pays réel fragmenté, affaibli, sous tutelles croisées. La visite de Jean-Yves Le Drian à Beyrouth cette semaine, l’annonce américaine d’une conférence internationale pour soutenir l’armée libanaise en janvier 2026 « probablement à Paris », et les initiatives discrètes mais actives de l’Égypte s’inscrivent dans une même logique : tenter de sauver ce qui peut encore l’être. Mais que reste-t-il réellement du Liban en tant qu’État stratégique et souverain ?
Le Liban n’est plus gouverné — il est géré à distance
Depuis l’explosion du port de Beyrouth en 2020, l’État libanais a cessé de fonctionner comme une structure capable de produire de l’ordre. Les indicateurs de 2025 en disent long : une inflation annuelle autour de 150 %, une livre ayant perdu 98,7 % de sa valeur depuis 2019, une dette publique dépassant 150 % du PIB. La pauvreté extrême touche désormais 82 % de la population selon la Banque mondiale. L’électricité est disponible deux à quatre heures par jour, les hôpitaux publics sont maintenus en vie par les ONG, l’eau potable est assurée par l’UNICEF, les universités publiques sont fermées ou agonisantes. Les routes sont défoncées, et la justice se trouve dans un coma artificiel. Le Liban est passé d’un État fragile à un État vitrifié : debout, mais sans colonne vertébrale.
Le Hezbollah : structure parallèle ou seule colonne restante ?
Toute analyse honnête doit partir de ce constat brutal : en décembre 2025, le Hezbollah demeure la seule structure pleinement fonctionnelle du pays. Son arsenal est estimé entre 120 000 et 150 000 roquettes et missiles, malgré la guerre de 2024 et les saisies massives de l’armée cette année, qui a confisqué ou détruit près de 400 000 munitions et équipements. Le mouvement contrôle des ports illégaux, des ministères clés, des réseaux financiers parallèles, la frontière syrienne et une grande partie du Sud. Il constitue la projection directe de l’Iran au Levant.
Les trois scénarios de désarmement restent inopérants. Le désarmement total est politiquement impossible, refusé par Téhéran et porteur d’un risque de guerre civile. L’intégration du Hezbollah dans l’armée libanaise, souvent évoquée, est rejetée par Washington et Riyad, car elle reviendrait à légaliser l’arsenal actuel. Le statu quo contrôlé, enfin, correspond à la réalité de 2025 : l’armée saisit des caches obsolètes pour la galerie, le Hezbollah conserve ses missiles de précision et ses drones, et chacun fait semblant de croire à un équilibre.
Le Drian, Washington, Paris, Riyad… et maintenant Le Caire
La visite de Jean-Yves Le Drian, du 8 au 10 décembre 2025, vise à verrouiller le cessez-le-feu et à pousser le président Joseph Aoun à accélérer les réformes. Morgan Ortagus a confirmé la tenue d’une conférence internationale en janvier 2026 pour soutenir l’armée libanaise. Les pays du Golfe demeurent extrêmement prudents : Riyad refuse de verser un dollar tant que l’influence iranienne reste dominante.
Dans ce paysage, l’Égypte s’affirme comme un acteur discret mais incontournable. Le Caire a multiplié les visites en 2025, coordonne étroitement avec Paris et Riyad, et voit dans un Liban stable un tampon indispensable contre les débordements islamistes. Sa doctrine est simple : la stabilité, même bancale, vaut toujours mieux que le chaos.
Neutralisation ou satellisation ?
Certains diplomates évoquent encore l’idée d’une neutralité stratégique pour le Liban, à la manière de la Suisse ou de l’Autriche. Mais la neutralité n’a de sens que si les acteurs internes la respectent. Or l’Iran continue de traiter le Liban comme sa profondeur stratégique face à Israël, et le Hezbollah conditionne tout retrait à un départ israélien total — une condition dont il sait pertinemment qu’elle restera irréalisable, tant que le Hezbollah menace le nord d’Israël. Un cercle vicieux. En réalité, le Liban parle d’équilibre, mais vit sous tutelle.
Le Liban : pays réel ou façade commode ?
Il devient légitime de se demander si le Liban est encore un État opérationnel ou une simple coquille administrative utilisée par des acteurs plus puissants. Le président promet le monopole des armes pour fin 2025 alors que chacun sait que l’échéance sera repoussée. L’armée saisit 400 000 munitions en 2025 mais laisse les missiles balistiques intacts. Le gouvernement négocie avec le FMI sans contrôler la moitié du territoire. La justice n’ose pas enquêter sur l’explosion du port. Le pouvoir réel demeure, comme toujours, hors des institutions.
Cette façade tient parce que chacun y trouve son intérêt : le Hezbollah, l’Iran, la France, les États-Unis, le Golfe, l’Égypte et, bien sûr, la diaspora qui continue de croire qu’il y a quelque chose à sauver.
La conférence de janvier 2026 : dernier espoir ou énième sursis ?
Annoncée par Washington et confirmée par Paris, la conférence internationale se tiendra probablement à la mi-janvier 2026 à Paris. Son objectif est de mobiliser au moins 500 millions de dollars pour les Forces armées libanaises, afin de financer les salaires, les équipements non létaux, les drones et les formations, et de leur permettre de déployer massivement au sud du Litani tout en poursuivant les saisies d’armes du Hezbollah. Les grands donateurs — États-Unis, France, Arabie saoudite, Qatar, Émirats — posent cependant des conditions strictes : des progrès concrets et vérifiables sur le désarmement et les réformes structurelles.
Le risque est évident : si aucune avancée tangible n’est obtenue, cette aide ne fera que renflouer une façade et repousser encore l’échéance du monopole étatique déjà manqué en décembre 2025. En clair, on paiera les soldes des soldats pour qu’ils continuent à saisir des roquettes rouillées pendant que le Hezbollah garde ses missiles de précision.
Focus Moyen-Orient.fr
Le Liban n’est pas mort. Mais il n’est plus souverain, plus stable, plus gouverné. Il survit dans une zone intermédiaire : ni État effondré à la somalienne, ni État fonctionnel. Un pays nominal, une identité suspendue, un territoire stratégique que personne ne veut voir sombrer – mais que personne n’est prêt à sauver vraiment tant que le Hezbollah conservera son arsenal, son veto et sa capacité de nuisance.
Les saisies d’armes de 2025, le plan Aoun et la conférence de janvier 2026 ne sont que des gestes qui retardent la seule question qui vaille : une refondation profonde ou un abandon progressif à la satellisation iranienne ? Le Liban reste, pour l’instant, le test grandeur nature de cette équation impossible.