L’ombre de la Chine au Moyen-Orient, Pékin tisse son influence discrète

L’ombre de Pékin : la Chine tisse son influence discrète au Moyen-Orient

Pendant que Washington dramatise et que Moscou s’enlise, la Chine avance sans bruit. Pas de bases militaires, pas de coalitions armées, pas de discours flamboyants. À la place : des câbles sous-marins, des data centers, des ports modernisés, des partenariats industriels. Pékin ne cherche pas à dominer le Moyen-Orient par la force, mais à l’intégrer dans un système de dépendances mutuelles — technologiques, logistiques, éducatives — qui redessine l’équilibre des puissances régionales. Une influence diffuse, patiente, souvent invisible. Et pourtant, elle change déjà la géopolitique du XXIᵉ siècle.

La stratégie du silence : quand Pékin avance là où les autres reculent

La Chine n’a jamais prétendu « sécuriser » le Moyen-Orient. Elle ne joue ni l’arbitre, ni le garant militaire. Elle occupe plutôt un espace laissé vacant par d’autres puissances : les États-Unis oscillent entre désengagement et interventions ciblées ; la Russie, affaiblie par l’Ukraine, n’a plus les moyens de son ambition syrienne. Pékin avance là où les autres reculent, en imposant un modèle simple : la présence par les infrastructures.

En 2024, le Moyen-Orient devient le premier destinataire mondial des investissements de la « Belt and Road Initiative », avec une hausse spectaculaire et l’Arabie saoudite en tête des montants engagés. Aux Émirats, la multiplication des centres de données d’Alibaba Cloud et de Huawei transforme Abu Dhabi en nœud du réseau numérique chinois. Tencent Cloud y ouvre même sa première région cloud en 2025.

En Arabie saoudite, les zones économiques spéciales attirent massivement la tech chinoise, séduite par la stabilité réglementaire de Vision 2030. Sans déployer un seul soldat, Pékin tisse ainsi un maillage dense dont le Golfe est devenu le pivot.

Ports, câbles, logistique : les routes de la soie changent de rive

L’influence chinoise se joue autant dans les infrastructures numériques (cloud, IA, data) que dans les infrastructures physiques. Le port israélien de Haïfa, modernisé depuis 2021, modifie la carte maritime de la Méditerranée orientale. À Oman, le port de Duqm, agrandi par des investisseurs chinois, sert de point d’appui stratégique entre l’océan Indien et le Golfe. En Arabie saoudite, Jizan devient une porte avancée vers la mer Rouge et le canal de Suez.

Les câbles sous-marins chinois, en plein essor, visent une position dominante sur un marché vital : près de 95 % du trafic mondial de données passe par ces infrastructures sous-marines.

Ces chantiers ne sont jamais neutres : ils générèrent des dépendances logistiques, financières et juridiques. Pékin s’installe dans le temps long, là où d’autres misent sur les déclarations ou les frappes.

De l’accord Iran–Arabie à la diplomatie des campus : la géopolitique douce

En 2023, Pékin joue un rôle central dans le rapprochement Iran–Arabie saoudite, facilitant la réouverture des ambassades et la reprise des échanges économiques. La Chine ne force rien : elle capitalise simplement sur sa position de principal acheteur énergétique des deux États, sans agenda idéologique, et devient un acteur crédible là où Washington perd du terrain.

Cette stratégie s’étend au domaine éducatif. Les instituts Confucius se multiplient du Caire à Abu Dhabi, tandis que des centaines d’étudiants syriens, irakiens, saoudiens et jordaniens partent chaque année étudier à Pékin ou Shanghai.

Ces flux forment une génération familière des méthodes, langues et réseaux chinois — un soft power plus tenace que les bases américaines ou les escadrons russes.

Les limites d’une présence devenue trop efficace

L’influence chinoise, longtemps perçue comme bienvenue, suscite depuis 2024 des inquiétudes croissantes. Aux Émirats et en Arabie, les autorités resserrent le contrôle sur les infrastructures Huawei, en raison des vulnérabilités potentielles et de la sensibilité croissante des données. Riyad et Abu Dhabi développent désormais des zones cyber souveraines, limitant la dépendance vis-à-vis des géants chinois.

Sur le plan géopolitique, la neutralité affichée de la Chine se fissure : Pékin investit en Israël tout en consolidant ses relations avec l’Iran, sans condamner les actions houthis en mer Rouge. Cette position équilibrée risque de devenir intenable si les rivalités régionales s’intensifient. La reconstruction de Gaza pourrait devenir un test majeur pour l’engagement chinois dans la région.

Le Moyen-Orient face à Pékin : fascination, prudence, opportunisme

Pour les pays du Moyen-Orient, la Chine n’est ni un adversaire ni un allié inconditionnel : elle est un partenaire utile.

Les Émirats profitent des technologies et des investissements chinois. L’Arabie saoudite y voit un contrepoids aux incertitudes de Washington. Israël adopte une posture plus prudente, notamment sur les infrastructures sensibles comme Haïfa.

Partout dans la région, une même question domine : Comment capter les gains économiques chinois sans tomber dans une dépendance stratégique ? C’est l’un des grands dilemmes de la décennie 2030.

Implications élargies : un réseau qui défie les blocs

La toile chinoise marginalise progressivement l’Iran en favorisant des routes énergétiques et logistiques alternatives via Oman ou les Émirats. Dans le même temps, les BRICS+ se renforcent grâce aux adhésions arabes, tandis que l’Europe perd de l’influence face à l’attractivité technologique et économique du Golfe.

Les risques demeurent : attaques contre les câbles sous-marins, cyber-sabotages, pressions américaines. Pékin ne conquiert pas ; elle interconnecte — jusqu’au jour où les nœuds pourraient céder sous la pression des rivalités régionales.

Focus Moyen-Orient.fr

L’influence chinoise n’est pas un raz-de-marée. C’est un ruissellement continu qui redéfinit progressivement le terrain. Au Moyen-Orient, Pékin installe un réseau discret où les data centers, les ports, les campus et les câbles remplacent les canons. Comprendre ce réseau, c’est comprendre la nature du pouvoir au XXIᵉ siècle : invisible, interconnecté, implacable — tant qu’il reste fluide.

A propos Faraj Alexandre Rifai 394 Articles
Faraj Alexandre Rifai est un auteur et essayiste franco-syrien, auteur de "Un Syrien en Israël" fondateur de Moyen-Orient.fr et de l’initiative Ashteret.