Golfe, au-delà des travailleurs précaires, le boom des talents qualifiés

Golfe, au-delà des travailleurs précaires, le boom des talents qualifiés

Idée reçue N°4. Visas Golden, Vision 2030, emplois en IA/santé : le Golfe attire Européens et Arabes qualifiés. Finie l’idée des seuls travailleurs et ouvriers précaires – une mutation géopolitique en marche.

L’image tenace en France : un Golfe de chantiers géants et de camps surpeuplés, où des millions d’ouvriers immigrés triment sans droits. Cette réalité pèse encore lourd – sur 30 millions d’expatriés dans le CCG, 60-70 % sont dans des jobs peu qualifiés. Mais depuis 2015, une mue s’opère : Émirats, Arabie, Oman deviennent des aimants à talents mondiaux en IA, santé, énergie verte. Une inversion qui interroge : et si le vrai brain drain n’était plus vers l’Europe, mais vers le Golfe ?

Un marché du travail en pleine inversion

Les réformes post-2015 (Vision 2030 en SA, UAE Centennial 2071, Oman Vision 2040) ont pivoté l’économie : adieu pétrole pur, bonjour diversification. Résultat : les jobs qualifiés explosent.

  • Aux Émirats, 70 % des recrutements 2024 visent ingénieurs, data scientists, experts cybersécurité (rapport Ministry of Economy UAE/Fragomen). Ex. : 110 milliards $ de contrats signés en mai 2024 avec HKN Energy pour pétrole/gaz kurde et renouvelables.
  • En Arabie, 1,12 million d’emplois privés créés en 2023-2024, dont ~500k en secteurs pros (IA, santé, énergie propre) via NEOM et Red Sea Project.
  • Oman suit : +20 % de postes en numérique/santé en 2024, boostés par la National Digital Health Strategy (2024-2030).

La pyramide s’inverse : les expats ne sont plus canon fodder ; ils conçoivent les mégaprojets.

Visas longue durée : la fin du kafala light

Le système sponsorisé (kafala) craquelle, au profit de résidences autonomes pour élites.

  • UAE : Golden/Talent/Green Visas (5-10 ans) pour pros à >30k AED/mois (~7,5k €) – 100k+ délivrés depuis 2019, ciblant médecins, chercheurs, entrepreneurs. Nouveauté 2024 : extension aux éducateurs.
  • SA : Premium Residency (depuis 2019, boosté 2024 avec 5 nouvelles catégories : talents en santé/science, gifted en culture/sport) attire 10k+ pros/an.
  • Oman : Investor Residency (5-10 ans) pour experts en énergie verte/numérique, avec FDI à 77,9 milliards $ cumulés fin-2024.

Ces sésames ne sont pas pour les manœuvres : ils visent les cerveaux qui font tourner l’innovation

L’attrait irrésistible : salaires, labs, zéro taxeLe Golfe vend du concret :

  • Salaires nets 20-50 % supérieurs à l’UE (ex. : data scientist à Dubai : 150-250k €/an).
  • Infrastructures de pointe : labs IA à Abu Dhabi (Masdar City), hubs fintech à Dubaï (DIFC), souveraineté numérique à Riyad (NEOM).
  • Financement massif : universités comme KAUST (SA) ou NYU Abu Dhabi attirent chercheurs mondiaux.

Brain drain inversé : 15k jeunes diplômés français/an partent à l’étranger, dont 20-30 % vers Golfe (étude 2024). Un ingénieur cité par The National : « En Europe, je quémandais des grants ; ici, on finance direct. »

Europe en perte de vitesse : le vrai coût géopolitique

La France pleure ses talents – 70 % des élites perçoivent un déclin national (sondage 2024) – mais ignore que le Golfe les capte : médecins français à Abu Dhabi (hôpitaux Cleveland Clinic), ingénieurs en défense à Riyad (giga-projets). Résultat : l’UE perd ~100k pros qualifiés/an vers CCG/Asie, affaiblissant sa tech et son énergie (transition verte contournée via routes saoudiennes).

Cette fuite n’est pas anodine : elle marginalise Téhéran (bypass energy via Oman/UAE) et challengue Ankara (concurrence logistique IMEC). Le Golfe investit là où l’Europe hésite.

Une mosaïque élargie : au-delà des Indiens et Pakistanais

Les flux arabes s’intensifient :

  • Syriens : +50k en santé/tech aux UAE/SA post-2023 (retours volontaires de Jordanie).
  • Libanais : hubs finance à Dubaï (échappant à Beyrouth).
  • Jordaniens/Palestiniens : architecture/éducation à Oman/Qatar (360k Palestiniens au Koweït, mais flux qualifiés vers CCG).

Le Golfe n’est plus chantier ; c’est compétence globale.6. Les ombres au tableau : une attractivité fragileMéritocratie naissante, mais fissurée : quotas Saudisation/Omanisation (70 % locals d’ici 2030) créent tensions internes ; précarité persiste pour 60 % des expats (construction/agri) ; instabilité régionale (Houthi, Iran) mine la « stabilité promise ». Sans réformes sociales profondes, ce hub risque l’implosion – comme un mirage post-pétrole.

Focus Moyen-orient.fr

L’idée du Golfe « que des précaires » pourrait être obsolète. Elle flatte les clichés, mais occulte un labo géopolitique où la compétence prime – pour l’instant. Pendant que l’Europe ferme ses portes fiscales et administratives, le CCG les ouvre à bascule. Leçon : dans la course aux talents, la vraie précarité, c’est de les perdre.

Lire aussi :

Le réveil du rail au Moyen-Orient : connectivité, durabilité et intégration régionale

A propos Faraj Alexandre Rifai 394 Articles
Faraj Alexandre Rifai est un auteur et essayiste franco-syrien, auteur de "Un Syrien en Israël" fondateur de Moyen-Orient.fr et de l’initiative Ashteret.