De retour de Washington, Ahmed al-Sharaa cherche à s’affirmer. Mais en Israël, ses déclarations sur le Golan, la Russie et les frappes israéliennes ravivent les tensions entre Jérusalem et Damas.
1. Une visite historique… suivie d’un retour sous haute tension
Le 10 novembre 2025, al-Sharaa est reçu par Donald Trump. Sanctions Caesar allégées pour six mois, adhésion formelle de la Syrie à la coalition anti-État islamique, réouverture imminente de l’ambassade syrienne à Washington : symboliquement, le message est fort.Mais dès le lendemain, la tonalité change.
Selon Yediot Aharonot et la chaîne publique KAN, le président syrien serait rentré « sûr de lui » et aurait multiplié les déclarations jugées provocatrices par Israël : rappel des « plus de mille frappes israéliennes en Syrie depuis 2011 », accusation de violation répétée de l’Accord de désengagement de 1974, et surtout, refus catégorique d’exclure une présence militaire russe renforcée près du Golan « si les circonstances l’exigent ».
2. Israël : « Il a commencé à faire des choses que nous ne pouvons pas accepter »
Lors d’une réunion du cabinet de sécurité, Benyamin Netanyahou résume la situation en une phrase : « Il a commencé à faire des choses que nous ne pouvons pas accepter. »
Le ministre de la Défense Israël Katz, lui, ironise : al-Sharaa est revenu « parfumé » de Washington — sous-entendu : grisé par l’attention américaine.
Derrière l’ironie, une vraie inquiétude stratégique : Damas semble estimer que la retenue observée jusqu’ici face aux frappes israéliennes n’était qu’un choix tactique lié à la guerre civile, et non une acceptation définitive du statu quo. Le simple fait de le rappeler publiquement, juste après avoir serré la main de Trump, est perçu comme un signal délibéré.
3. Un jeu d’équilibriste entre trois capitales
Al-Sharaa doit parler à trois auditoires à la fois, et ils ne veulent pas entendre la même chose :
- À Washington, il promet coopération antiterroriste et distance avec l’Iran.
- À Moscou (qu’il a visité en octobre), il laisse entendre qu’il reste ouvert à une présence militaire russe renforcée.
- À l’intérieur, il doit montrer qu’il ne brade pas la souveraineté syrienne — surtout sur le Golan, symbole national par excellence.
Résultat : des messages contradictoires qui passent mal à Jérusalem et qui, même à Washington, commencent à susciter des haussements de sourcils. Plusieurs responsables américains, sous couvert d’anonymat, ont déjà fait savoir que « la patience a des limites » si Damas se met à jouer la carte russe sur la frontière sud.
4. Le Golan, levier intérieur et source de friction extérieure
En insistant sur le Golan dès son retour, al-Sharaa sait parfaitement ce qu’il fait : il parle à sa base nationaliste et aux officiers de l’ancien régime qu’il a intégrés dans le nouvel appareil sécuritaire.
Mais dans la région, ce type de rhétorique, même sans acte concret, est immédiatement lu comme une tentative de renégocier les règles du jeu par la bande. D’autant que les forces syriennes, aidées par des conseillers russes, ont déjà commencé à se redéployer plus au sud ces dernières semaines — un mouvement que Tsahal suit à la jumelle.
5. Ni rupture, ni lune de miel : un test grandeur nature
Pour l’instant, personne ne parle de rupture. Washington continue d’appeler al-Sharaa un « partenaire potentiel ». Israël, elle, a déjà fait savoir qu’elle répondrait « avec force » à tout changement du statu quo sur le Golan.
Ce qui se joue en réalité, c’est la capacité d’un régime encore jeune à calibrer sa marge de manœuvre. Al-Sharaa a compris qu’il avait une fenêtre étroite fenêtre d’opportunité entre la bienveillance relative de Trump et la faiblesse actuelle de l’Iran. Il cherche à l’exploiter au maximum — quitte à frôler la ligne rouge.
La visite à Washington restera historique. Ce qui se passera dans les trois à six prochains mois dira si elle aura été un tournant… ou un faux départ.
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Au-delà des déclarations, tout se jouera dans les gestes concrets : niveau de coopération avec les forces américaines à l’est, degré de présence russe au sud, attitude face aux prochaines frappes israéliennes.
Pour l’instant, al-Sharaa avance sans doctrine étrangère claire, en misant sur l’ambiguïté. Dans une région où l’ambiguïté est souvent punie, le pari est risqué.
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