
Reconstruction de la Syrie. La nouvelle réforme fiscale syrienne, présentée en 2025, marque un tournant majeur pour un pays exsangue après treize ans de guerre. Allégements pour les ménages, taux réduits pour les entreprises et introduction d’une taxe sur la consommation : Damas veut séduire investisseurs et classes moyennes. Mais avec une assiette fiscale aussi restreinte, la viabilité de l’État syrien reste en question.
Une réforme fiscale pour refonder le contrat entre l’État et les Syriens
La reconstruction de la Syrie ne passera pas seulement par le ciment et l’acier, mais aussi par la refonte des institutions économiques.
Face à une économie en ruine, à une inflation chronique et à une perte de confiance généralisée, le gouvernement a présenté une réforme fiscale ambitieuse : alléger la pression sur les citoyens, stimuler l’investissement et moderniser l’administration.
Selon l’analyse de l’économiste Karam Shaar, cette réforme vise à rompre avec un système fiscal arbitraire et obsolète, hérité des années de guerre, pour installer un cadre plus transparent, équitable et attractif.
Mais derrière cette ambition se cache un dilemme : comment financer la reconstruction d’un pays dévasté avec si peu de recettes ?
Les principaux volets de la réforme
Impôt sur le revenu : 90 % des Syriens exonérés
Le nouvel impôt sur le revenu exempterait plus de 90 % des citoyens.
Le taux maximal serait plafonné à 8 %, l’un des plus faibles du monde arabe.
Des déductions sont prévues pour les dépenses de santé, d’éducation, de logement et les charges familiales.
L’objectif est double : rendre le système plus juste et soulager les classes moyennes lourdement frappées par la crise.
Impôt sur les sociétés : attractivité et simplification
Les entreprises seraient désormais soumises à un taux forfaitaire de 10 % pour les secteurs dits prioritaires (industrie, santé, éducation, technologie…) et 15 % pour les autres.
L’agriculture reste exonérée, et les dividendes versés par les sociétés résidentes seraient partiellement exclus de l’assiette fiscale.
Ce cadre vise à attirer les investisseurs locaux et étrangers, notamment ceux de la diaspora, tout en uniformisant des règles longtemps marquées par l’arbitraire administratif.
Taxe de vente : une “TVA syrienne” à 5 %
Une nouvelle taxe de vente de 5 % sur la plupart des biens et services — et jusqu’à 15 % sur les produits de luxe — remplacera les multiples taxes disparates accumulées pendant la guerre.
Ce dispositif inspiré de la TVA devrait garantir des revenus réguliers pour l’État, mais il pourrait aussi peser sur la consommation populaire.
Modernisation numérique et lutte contre la corruption
La réforme s’accompagne d’une numérisation de la fiscalité :
- e-déclarations, factures électroniques et reçus QR ;
- création de tribunaux fiscaux spécialisés ;
- disparition des anciens comités arbitraires de taxation forfaitaire.
L’objectif est clair : réduire la corruption, restaurer la transparence et reconstruire un minimum de confiance entre l’administration et les contribuables.
Des promesses séduisantes… mais des risques immenses
Des recettes fiscales insuffisantes
En exonérant 90 % des ménages et en plafonnant les taux à 8 %, la Syrie s’expose à une chute dramatique de ses recettes.
Déjà parmi les plus faibles du monde (moins de 5 % du PIB), la collecte fiscale pourrait se réduire davantage — alors même que les besoins de reconstruction sont colossaux.
Une économie trop informelle
L’essentiel de l’économie syrienne demeure informelle, hors du champ fiscal.
Les rares entreprises formelles risquent de porter seules le poids de l’impôt, tandis que la majorité des activités échappent à toute taxation réelle.
Sans formalisation progressive du tissu économique, la réforme restera théorique.
Défis techniques et administratifs
La transition numérique suppose une infrastructure solide — Internet, électricité, compétences.
Or, dans un pays encore ravagé, ces conditions sont loin d’être réunies.
Le risque est grand de voir la réforme s’appliquer de manière inégale, voire détournée.
Une réforme imposée d’en haut ?
Enfin, si la réforme est perçue comme un geste technocratique imposé sans concertation, elle pourrait raviver la méfiance entre citoyens et pouvoir.
Dans un pays encore fracturé, la fiscalité n’est pas qu’un outil économique : c’est un symbole de légitimité politique.
Vers quel modèle de reconstruction ?
Trois trajectoires se dessinent :
- Croissance lente, finances faibles : la réforme stimule l’activité sans résoudre le déficit budgétaire.
- Élargissement progressif de la base fiscale : si l’économie se formalise, les recettes augmentent à long terme.
- Révision forcée : face à la pénurie de fonds, le gouvernement devra tôt ou tard relever les taux ou introduire de nouvelles taxes.
Mais au-delà des chiffres, l’enjeu est politique : refonder un contrat social où les Syriens paient des impôts non par peur, mais par confiance dans un État qui rend des services.
Un pari sur la confiance
La nouvelle politique fiscale syrienne est à la fois un acte économique et un acte symbolique.
Elle cherche à transformer un appareil d’État corrompu en un système moderne, à faible pression fiscale et à haute transparence.
Mais pour que cette réforme devienne un levier de reconstruction, il faudra plus qu’une loi : une gouvernance crédible, une société civile impliquée et une économie qui respire.
La Syrie joue ici une carte essentielle : celle d’un redressement fondé sur la confiance, non sur la contrainte.
Et c’est peut-être le défi le plus difficile de tous.
À retenir
- 90 % des Syriens exonérés d’impôt sur le revenu.
- Impôt sur les sociétés limité à 10–15 %.
- Nouvelle taxe de vente de 5 % à 15 %.
- Objectif : relancer l’investissement et moderniser l’État.
- Risque majeur : recettes insuffisantes pour financer la reconstruction.
Source et plus de détails de l’étude de Karam Shaar en anglais
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