L’hydrogène vert : le pari du Golfe pour l’énergie de demain

L’hydrogène vert : le pari du Golfe pour l’énergie de demain

De Riyad à Abou Dhabi en passant par Mascate, les États du Golfe se positionnent comme futurs leaders mondiaux de l’hydrogène vert, produit à partir d’énergies renouvelables. Présenté comme le carburant propre de demain, il attire des dizaines de milliards d’investissements et promet de transformer le Moyen-Orient en hub énergétique post-pétrole. Mais derrière l’enthousiasme, des défis technologiques, économiques, environnementaux et géopolitiques pourraient freiner cette ambition.

Qu’est-ce que l’hydrogène vert ?

L’hydrogène peut être produit à partir de plusieurs sources :

  • Hydrogène gris : issu du gaz naturel, avec des émissions de CO₂ élevées (environ 10 kg de CO₂ par kg d’hydrogène).
  • Hydrogène bleu : similaire au gris, mais avec un captage partiel du carbone.
  • Hydrogène vert : obtenu par électrolyse de l’eau à l’aide d’énergies renouvelables (solaire, éolien), avec un impact carbone nul.

C’est ce dernier qui alimente les ambitions du Golfe, combinant neutralité carbone et potentiel d’exportation vers des marchés gourmands comme l’Europe et l’Asie.

Les grands projets au Moyen-Orient

Arabie saoudite : NEOM et Helios Green Fuels

Le mégaprojet NEOM, dans la région de Tabuk, inclut une usine d’hydrogène vert de 8,4 milliards de dollars, portée par ACWA Power, Air Products et NEOM.
Objectif : produire dès 2026 plus de 600 tonnes d’hydrogène par jour, principalement sous forme d’ammoniac vert, pour l’exportation vers l’Europe et l’Asie. Ce projet s’inscrit dans la Vision 2030, visant à diversifier l’économie saoudienne.

Émirats arabes unis : Masdar et ADNOC

  • Masdar, pionnier du solaire, développe des projets d’hydrogène vert pour alimenter le transport, l’industrie et même la production d’acier décarboné.
  • ADNOC, la compagnie pétrolière nationale, vise 1 GW de capacité d’électrolyse d’ici 2030.
  • Les Émirats ont signé des accords bilatéraux, notamment avec l’Allemagne (2024), pour exporter de l’hydrogène vert, renforçant leur rôle de partenaire énergétique clé pour l’Europe.

Oman : Hydrom et Duqm

  • Oman mise sur sa société publique Hydrom pour coordonner ses ambitions.
  • La zone industrielle de Duqm attire des consortiums internationaux, comme BP et Shell, pour produire et exporter vers l’Asie.
  • Le pays espère capter 20 milliards de dollars d’investissements d’ici 2030, avec un objectif de 1 million de tonnes d’hydrogène vert par an à la même date (Hydrom, 2025).

Pourquoi le Moyen-Orient parie sur l’hydrogène vert

  • Diversification post-pétrole : avec la fin progressive de la rente pétrolière, les monarchies du Golfe cherchent à sécuriser de nouvelles sources de revenus.
  • Atouts naturels : un ensoleillement exceptionnel (jusqu’à 10 kWh/m²/jour) et de vastes terrains désertiques à bas coût permettent d’installer des centrales solaires et éoliennes à grande échelle.
  • Position géographique : situé au carrefour de l’Europe et de l’Asie, le Golfe est idéal pour exporter via des routes maritimes établies.
  • Diplomatie énergétique : l’hydrogène vert devient un outil de soft power, renforçant l’influence géopolitique du Golfe. Par exemple, les Émirats et l’Arabie saoudite nouent des partenariats stratégiques avec l’Allemagne et le Japon, redessinant les alliances énergétiques mondiales.

Défis et incertitudes

  • Coût élevé : produire de l’hydrogène vert coûte aujourd’hui entre 4 et 6 dollars/kg, contre 1 à 2 dollars/kg pour l’hydrogène gris (BloombergNEF, 2025). Les coûts doivent chuter de 50 % d’ici 2030 pour rivaliser.
  • Infrastructures manquantes : pipelines, ports adaptés et terminaux d’export nécessitent des investissements massifs, estimés à 100 milliards de dollars pour le Golfe d’ici 2040 (IRENA, 2024).
  • Impact environnemental local : l’électrolyse consomme d’importantes quantités d’eau, un défi dans des régions arides où les ressources hydriques sont limitées. Des solutions comme le dessalement solaire sont envisagées, mais elles augmentent les coûts.
  • Concurrence mondiale : l’Australie, le Chili et le Maroc investissent également massivement, avec des projets compétitifs visant les mêmes marchés.
  • Dépendance technologique : les électrolyseurs et les technologies de transport restent dominés par l’Europe et la Chine, obligeant le Golfe à s’appuyer sur des partenaires étrangers.

Une énergie d’avenir ou un mirage ?

Selon l’Agence internationale de l’énergie (AIE), l’hydrogène vert pourrait représenter 12 % de la demande énergétique mondiale d’ici 2050. Le Moyen-Orient, avec ses ressources renouvelables et sa position stratégique, a le potentiel pour devenir un acteur central.

Cependant, sa réussite dépendra de sa capacité à réduire les coûts, développer des infrastructures et sécuriser des marchés stables, tout en intégrant ses projets dans une transition énergétique globale.

Entre rêve d’avenir et risque de mirage

L’hydrogène vert est une opportunité historique pour le Golfe, mais aussi un pari risqué. Les projets de NEOM, Masdar et Duqm témoignent d’une ambition de leadership mondial, mais la concurrence internationale, les contraintes économiques et les défis environnementaux pourraient freiner cet élan.

Dans vingt ans, le Golfe deviendra-t-il l’« OPEP de l’hydrogène » ou restera-t-il prisonnier de ses rêves pétroliers ? L’avenir dépendra de sa capacité à transformer ses atouts en une réalité énergétique durable.

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